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Critique de michfred


Ouf! J'abandonne enfin Les jours de mon abandon..

Une lecture marquante, une écriture magistrale- mais une épreuve, une véritable souffrance- physique- jusqu'à la nausée, jusqu'au malaise...

A priori, rien que de très banal: le récit à la première personne d'une "femme rompue", Olga, mère de deux jeunes enfants, quittée, après quinze ans de mariage, par un mari attentionné et brillant qui soudain la rejette pour aller vivre avec une jeune femme de vingt ans. Olga se retrouve à Turin, elle, la méridionale, avec ses deux enfants et Otto, le chien-loup, livrée à sa douleur, à sa colère, à sa folie...

Le récit est tout de suite étrange: l'écriture, soignée, au "passato remoto", avec incises distinguées par leurs inversions du sujet (type "pensai-je, m'aperçus-je") , est comme percutée de l'intérieur par des éclats de folie, de brusques accès d'obscénités, de violentes bouffées d'odeurs , des agressions sonores et verbales.

Le monde d'Olga se fissure comme sa raison: les serrures se rebellent, les fourmis grouillent, les enfants vomissent, les chiens s'empoisonnent, les téléphones se cassent, les amis fuient..

Les comparaisons, les images elles aussi décrochent, et on sent la langue, comme la narratrice, gagnée progressivement par une déréliction inquiétante, dangereuse.

Les objets sont eux aussi détournés de leur fonction: une pince à linge sur un bras, un coupe-papier dans un genou servent -follement- à tenter de reprendre pied dans la réalité, un marteau à appeler au secours, un permis de conduire à assouvir sa frustration sexuelle...

Dans ce huis-clos de folie, les deux enfants errent, pas rassurés, le chien, lui , agonise, et le voisin- mélancolique silhouette à la Giacometti, prolongée par l'ombre de son violoncelle- devient de plus en plus proche, alerté, inquiet..

Nous aussi.

Je ressentais un tel malaise en lisant que j'ai dû m'arrêter plus d'une fois, et faire quelques incursions dépaysantes dans des univers moins entropiques...mais j'y revenais toujours, aimantée par cette écriture étonnante, cette façon si sombrement originale d'entrer à vif dans la douleur d'une femme.

Le récit est très bien composé: lente montée, par paliers, d'une vertigineuse angoisse, qui culmine lors d une nuit caniculaire de ferragosto, interminable et proprement atroce, puis lentement, comme un plongeur remonte des fonds, on décompresse, la normalité reprend ses droits, la rationalité aussi, le chagrin s'apaise, les gens se réhumanisent, les gestes se contrôlent, les objets reprennent leur place sur les étagères...La crise est passée...

Mais on sort proprement essoré de cette expérience : on a le sentiment d'avoir accompli un voyage "fantastique" -au sens que lui donne Todorov- non seulement dans l' âme d'une femme blessée mais aussi dans le quotidien halluciné de son appartement , tout peuplé de ses hantises -ah, cette "poveretta" napolitaine qui revient tel un fantôme, un alter ego..

Quand la vie, comme on dit, reprend ses droits, on se pince, nous aussi, et on se donnerait même une légère estocade de coupe-papier pour s'assurer que le cauchemar est bien fini...
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