AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Enroute


Une lecture extraordinairement éclairante et pleine d'espoir sur une organisation politique fortement mise à mal ces derniers temps et dont il faut prévoir qu'elle le soit davantage encore dans les années à venir. Et pourtant, la thèse de l'auteur est que l'Union est en train de réaliser ce que les Lumières ont commencé d'imaginer comme pouvant être la forme sociétale universelle la plus aboutie et la plus juste qui soit, en particulier telle qu'esquissée chez Kant et son essai "Projet de paix perpétuelle" (l'auteur se réfère également beaucoup à Hegel et à Rousseau).

Cette organisation politique revient à garantir en premier lieu, c'est-à-dire dans une constitution, les droits des individus (droit de l'Homme) et des gens (Droits des peuples). Après qu'il a démontré qu'un état fédéral n'était pas possible en Europe car cela supposerait que l'Etat européen se forme sur la base d'un peuple et une nation comme se sont formés les Etats par le passé - ce peuple européen et cette nation n'existant pas -, il indique que le respect du droit des peuples impose le respect de l'intégrité des Etats - puisqu'ils sont l'émanation de la volonté des peuples dont ils sont constitués. Il ajoute cependant que la souveraineté des Etats peut toutefois être limitée par la garantie des droits des peuples et des individus qui les composent. Un citoyen cosmopolite doit, dit l'auteur, pouvoir se retourner contre son état si celui-ci est soupçonné de ne pas garantir ses droits fondamentaux (civisme, droit à la sécurité, aux soins, à la dignité...).
C'est bien, toujours selon l'auteur, la forme que prend l'Union en permettant aux citoyen de saisir la Cour Européene des Droits de l'Homme, qui, à l'occasion, peut condamner les Etats. Cette forme - il s'agit ici de mon opinion, ceci n'étant pas explicitement écrit dans l'ouvrage - n'existe pour aucune autre organisation sociétale dans le monde - un étatsunien ne peut pas faire condamner - me semble-t-il - l'Etat Etatsunien s'il ne respecte pas ses droits fondamentaux. Il semble donc que l'essai dessine une autre perception du monde, qui n'est plus une opposition Occident-Orient, mais "Etats-qui-ont-tous-pouvoirs" d'un côté, y compris celui d'opprimer leur population, et l'Union de l'autre, qui garantit en premier lieu les droits des individus et des peuples, y compris, si nécessaire, contre leur Etat. L'Union est à la fois une expérience de pointe en matière de politique, et une esquisse qui donne corps à une gouvernance mondiale juste, c'est-à-dire basée sur les droits fondamentaux. En effet, cette forme de gouvernance étant universelle et ayant été pensée comme telle par les philosophes depuis les Lumières, elle a en vérité vocation à être reproduite ou étendue à un nombre illimité d'Etats (sous réserve que ces états soient des Etats de droits dont la définition est donnée dans l'ouvrage). Vue sous cet angle, le projet de l'Union paraît autrement plus motivant que le sempiternel "c'est la faut à Bruxelles" que nous serinent en permanence nos politiques : il s'apparente à un projet civilisationnel, dont on entend la formulation du manque revenir si fréquemment.

Cependant, les difficultés que rencontrent l'Union - l'ouvrage date de 2000 - viennent d'une déconnexion que note l'auteur entre les populations et les responsables en charge de l'intégration européenne. Grosso modo, il appelle à une "politisation" de l'Europe, et, afin de pallier les différences linguistiques, de faire porter le débat politique européen par les parlements nationaux (si ma lecture est juste, nos députés porteraient dans l'espace public français les questions européennes, qui seraient discutées en France et dans chaque pays européen avant d'être consolidées à Strasbourg). Ceci permettrait de rapprocher la politique des citoyens qui auraient la capacité de comprendre et participer à un projet qui leur est pour l'instant presque imposé (et donc contraire à ce qu'est un Etat de droit).
Beaucoup d'autres notions et de propositions (par exemple, pour une identité européenne, gage d'une légitimité de l'Union vis-à-vis de ses "citoyens", une résolution des conflits entre souveraineté des états et intégrité des individus et des peuples, une anticipation de mesures structurelles pour accompagner l'augmentation de chômage que crée la mondialisation (que faire s'il n'y a plus assez de travail pour tout le monde), bref en un mot, pour un monde renouvelé sur la base d'une paix et d'une stabilité accrue) sont abordées dans ce très riche essai à la lecture parfois ardue, mais tellement enthousiasmante et lumineuse.

De cette lecture ressort donc des pistes de réflexion pour un avenir motivant, une forte confiance en la pertinence de notre organisation sociétale et une esquisse de ce qui ressemble à un projet civilisationnel, dont la promotion, au moins par une partie de la classe politique, ne pourrait certainement que contribuer à apporter des perspectives d'avenir de nature à s'opposer au pessimisme ambiant. Notre époque est pleine d'énergie, mais elle semble manquer d'idées : l'ouvrage nous confirme que les intellectuels n'ont pas disparu de la circulation, que leurs discours n'ont rien perdu de leur capacité à perforer les idées reçues et à souffler des horizons que nous nous imaginons infranchissables ; mais qu'ils manquent, peut-être, d'un peu de visibilité.
Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}