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Critique de Enroute


Il s'agit d'apporter des compléments structurants à la philosophie de la communication qui postule la prééminence de la communication dans les ordres de réalité. Avant le sujet (autonome), avant l'objet (en soi), se trouve le verbe qui se forme dans la raison pratique, celle qui se met en œuvre par l'engagement de l'être vivant dans ses adresses au monde. La philosophie de la communication décante ou réduit la raison pure à la raison pratique qui, en retour, justifie et explique la formation de la théorie, du sens de la vérité et de la moralité.

L'ouvrage parcourt ce processus qui mène de la sensation puis de la perception à la formation du langage et à l'élaboration des énoncés universels régulateurs comme le sont les droits de l'homme et les principes du droit moderne. Ce faisant, on obtient les justifications à la possibilité d'une vérité interculturelle et d'une société multiculturelle par la subsomption des apriori sémantiques aux apriori syntaxiques. La grammaire reconstructive justifie que tout énoncé puisse prétendre à la validité sous réserve que soit explicité son contexte et son mode d'énonciation. Elle suit, par interactions des identités culturelles entre elles, la grammaire critique, où les énoncés restent aveugles à leurs propres présupposés syntaxiques et favorisent ceux de la sémantique - les mots apportent spontanément leur masse substantielle que l'on se prête spontanément à considérer comme singulière à un télos culturel. Avant elles, se trouvent les grammaires plus profondes de l'icône et de l'indice que l'être humain partage avec les animaux expressifs (comme les loups) et les animaux "communicatifs" (comme les baleines).

En précisant de manière très détaillée le principe de ces deux premières grammaires plus archaïques, Ferry semble combler les intuitions déconstructives de la "grammatologie" avant de les mener par reconstruction à un principe "supracritique", qui sans nier les différences d'intelligence entre les êtres humains et les animaux, nie la séparation entre culture et nature qui n'est qu'un concept culturel, et légitime la base commune d'intelligence des êtres vivants et conséquemment - comme l'engage à le faire la pensée écologique contemporaine - la promotion d'une réalité partagée.

L'époque est donc à la grammaire reconstructive, celle qui maintient la notion de vérité unique tout en autorisant la validité des énoncés culturels et organise une société mondialisée où la pensée unique, qui promeut l'écrasement des "interactions" humaines dans l'évidence modale de la constatation, est un frein puissant. Elle interdit en effet le développement et l'expression même du principe à la base de la reconstruction, à savoir la reconnaissance de soi dans l'autre, fondée sur l'affirmation de l'attention à porter au discours d'autrui, à sa thématisation modale, et à ma propre capacité à énoncer des discours susceptibles de vérité. La grammaire reconstructive n'est rien sans un espace public adapté qui la mette en oeuvre. La problématique, ici, est devenue politique.
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