AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Cigale17


Dans Carnet de mémoires coloniales, l'autrice tient la promesse faite à son père adulé : elle raconte ce qui s'est passé au Mozambique, à l'époque de la colonisation portugaise et pendant la guerre d'indépendance (25 septembre 1964 - 8 septembre 1975). Pour ce faire, elle attendra la mort de ce père qu'elle adore et qui la rebute en même temps. Et pour cause ! Elle ne raconte assurément pas là l'histoire telle que lui, le colon, l'a perçue. Ce Carnet nous propose 51 chapitres agrémentés de quelques photos d'enfance (des vue du pays, quelques photos de l'autrice petite fille dont une avec la mère, mais aucune photo du père), et s'ouvre sur une brillante et passionnante préface. Léonora Miano y apporte des précisions nécessaires sur le colonialisme, l'animalisation des Noires par les Blancs et sans doute plus encore par les Blanches, l'emploi des mots « nègres » et « Noirs », les problématiques identitaires des enfants blancs nés dans le pays colonisé, etc. La violence des explications de la préface laisse augurer de la teneur du texte. Carnet de mémoires coloniales se présente comme un kaléidoscope de souvenirs précis, flous, mouvants ou figés, transformés par le travail de la mémoire ou fixés à jamais dans une sorte de photographie où des ombres empêchent de tout distinguer précisément (voir la citation de Primo Levi en exergue).
***
J'ai trouvé les 5 ou 6 premiers chapitres difficile à lire à cause de la crudité du langage de la sexualité. Il est impossible de perdre de vue qu'il s'agit des souvenirs d'une petite fille et qu'Isabela Figueiredo tente de retrouver les impressions et les sentiments qui la submergeaient alors. le machisme éclate dans ce qu'il a de pire et les femmes (blanches) le subissent quand leur silence et leur aveuglement volontaires ne les rendent pas passivement complices. Quant aux femmes noires… Aux yeux de la fillette, ce monde est incompréhensible, à la fois répugnant et mystérieusement attirant. le langage cru de la sexualité des premiers chapitres laisse place à celui de la violence des sentiments. À la haine et au mépris du père envers les « nègres » vont succéder la honte et la culpabilité de la petite fille, motivant ses courageux et dérisoires gestes de solidarité. Les Figueiredo ont quitté le Portugal pour s'établir au Mozambique, fuyant une grande pauvreté pour atteindre une relative aisance. le père, électricien, ne s'illusionne pas : il est parfaitement conscient d'appartenir à un milieu modeste même si, se comparant aux Noirs, la famille pourrait passer pour riche. Quand les troubles s'intensifieront et qu'Isabela repartira seule chez la grand-mère portugaise, elle sera confrontée à ce qu'est la pauvreté. La brutalité du retour au Portugal, le rôle (esquivé) de porte-parole du père, le choc de la découverte de la pauvreté et le rejet d'une bonne partie de la communauté portugaise plongent l'adolescente dans un profond désarroi. L'écriture d'Isabela Figueiredo est d'une grande qualité. L'autrice emploie le plus souvent des phrases courtes et un vocabulaire précis, mais aussi de longues phrases empreintes de rythmes poétiques. Elle fait parfois usage d'une crudité difficile à supporter. Certaines phrases reviennent en leitmotiv durant un ou deux chapitres, bref, une variété de rythme et de ton bienvenue. Je voudrais signaler les remarquables pages 102-103 où, dans une sorte d'épiphanie, l'enfant découvre qu'elle sait lire : « je pris possession de l'outil qui me servirai à creuser le chemin de ma liberté [...] Dès lors, je devins, peu à peu, lentement, la pire ennemie de mon père ». Une personnalité attachante et un beau livre, dédié au père, à découvrir !
***
Lu dans le cadre du prix des Lecteurs de Cognac 2022
Commenter  J’apprécie          260



Ont apprécié cette critique (25)voir plus




{* *}