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Critique de michfred


Emportée par ta houle
Qui me roule
Et m'enroule
Qui me saoule ,
Ô mer du Nord, 
Nous ne formons qu'un seul corps...

Un tourbillon, un maelstrom, un tsunami!

Portée par un phrasé hypnotique, un style périodique à la fois savant et lyrique - la poésie, c'est une évidence, est une jeune soeur des grandes sciences du vent, de la terre et de la mer!- je viens de franchir en apnée les 60emes Nord , pas rugissants mais grondants et fondants, hissée  de vague en vague, ballottée d'appréhension en angoisse, d'avis de  tempête du siècle en cataclysme du millénaire annoncé - une petite apocalypse revigorante qui risque de remodeler le vivant tous les 8000 ans..-   sans avoir le temps de dire ouf!
 
J'en suis sortie plus savante- la climatologie et la géologie n'ayant jamais été mes tasses de thé,  j'ai été stupéfaite de constater que je pouvais m'y immerger avec délices, et même y sombrer jusqu'aux petites heures du matin sans le moindre ennui, le plus léger bâillement -, et aussi, étonnamment apaisée : en ces heures de crise climatique aiguë et de prophéties  catastrophiques, les congrès scientifiques ont une façon à eux de remettre à l'échelle   nos angoisses d'humains  nombriliques : qu'est-ce ce qu'une apocalypse planétaire ou semi-planétaire,  au regard de la vitalité de la matière ?

Je n'ai pas regretté ce voyage en Doggerland...

Sur fond de tempête Xaver et de grande -marée -avec -risque -de- submersion, trois scientifiques , Margaret Ross, anglaise, son mari, Stephen, écossais, et Marc Berthelot,un français, premier amour de l'une  en même temps que  meilleur ami de l'autre, se retrouvent - après une vingtaine d'années en ce qui concerne Marc et Margaret- , pour un congrès, en Norvège, au bord de la mer du Nord déchaînée. 

Stephen est spécialiste en énergies renouvelables et rêve d'implanter des parcs éoliens plus nombreux en mer du Nord, où le vent est si généreux. Alors quand l'outre d'Éole semble s'être tout à coup ouverte, il accourt.. .

Margaret, elle, en géologue-paléologue, se passionne depuis toujours pour le Doggerland,  cet ancien territoire immergé depuis plus de 8000 ans qui reliait à pied sec l'Angleterre au continent européen, marqué encore par la présence humaine, végétale et animale, et que seules de grandes marées, au moment du reflux, laissent alors à découvert, mettant au jour des coupes de forêts, noircies et polies comme du bronze, appelées "bois de Noé".

Un morceau de la terre  d'avant le Déluge. 
Une espèce d'Atlantide pour scientifiques.

Cette science d'un passé sous-marin, mystérieux, porteur, qui sait, d'une mémoire utile aux temps à venir, fascine Margaret, et son objet d'etude, le fameux Doggerland,  lui ressemble: à  la fois clos, replié,  silencieux mais aussi  ouvert,  réceptif, sensible, plein de sagesse et de lucidité.

Quant à Marc, arpenteur des mers, il est chercheur d'or noir pour les grandes firmes pétrolières qui s'arrachent son éternelle bougeotte, sa soif d'aventures, et surtout son flair de prédateur qui le précipite,  de plateforme en plateforme, assoiffé d'argent trop vite dépensé et d'émotions fortes,  là où se cachent  les dernières ressources de la turbulente mer du Nord. 

Pour mieux se fuir lui-même? Pour ne pas sentir s'élargir les failles, s'ouvrir les abysses qui le taraudent comme lames et vents tourmentent le palais des Congrès de ses retrouvailles avec la secrète Margaret qu'il a aimée et quittée, pourtant, si brutalement?

 Sous la baguette inspirée d'Elisabeth Filhol, tout, lentement , se met en place. Météores,  personnages, temps et lieux.

Musique symphonique,  orchestrée avec majesté,  ménageant motifs et reprises, montant en tension et en puissance, comme l'ouragan lui-même .

On est dans une attente, une vibration, une émotion qui nous hisse et nous dépasse. On se laisse emporter, à notre tour, comme fétus de paille, au-devant de cette tempête, de  cette rencontre, dans l'expectative d'un affleurement du passé dans une secousse du présent qui n'aura pas d'équivalent.

C'est là toute la force de cet étonnant roman, profondément original, différent, magistralement mené, qui  aurait bien mérité le prix du Livre Inter et qui pourtant ne l'a pas eu.

La fin, magnifique et inattendue, est le digne couronnement de cette attente sismique.
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