Le livre avait échappé à la grande purge des bibliothèques et se cachait entre le manuel du bon apiculteur et l'éternel roman exaltant la collectivisation des terres.
(p. 126)
même si l'eau vieillie
dans les méta-univers qui nous humilient
mon éternité s'évapore
à la limite
thermodynamique de la connaissance
ainsi mes pores restent-ils insensibles
au froid cosmique dans lequel sommeillait
autrefois le serpent du temps lorsque
disait-on
le temps précédait la matière
et même si je me rebiffe
à mon tour
je remonte tout au long d'une chute
aux côtés des autres mortels
(ivrognes fanfarons et suicidaires)
et la flèche en direction de l'avenir arrive à chaque fois dans le passé
chargée d'une mélancolie consternante
en vain je tente de percer la sagesse des
cinquante masses Planck et le sens du nuage initial
des particules lourdes
la mort continue à déposer ses larves
dans cette densité
et moi je reste
sa pitance gratuite
(p. 41, pitance)
noeud de mouchoir
et il y a de l'avenir dans le désespoir
ou - enfin - la résonance railleuse du secret
qui se souvient avoir gardé la petite pièce de l'espoir
dans un noeud de mouchoir
pour acheter le pain irréversible
(également en 4ème de couverture)
La poésie de Dinu Flamand n’est pas accommodante, elle est souvent amère et cruelle (cruelle d’abord vis-à-vis de son auteur, ce qui est la moindre des élégances). Elle porte constamment, comme un signe au front, sa blessure, la cicatrice qu’à nous tous laisse l’existence pour l’avoir trop aimée, trop désirée fidèle aux promesses de l’enfance qui nous promettait le monde. Flamand n’est pas un cynique mais il est trop lucide pour nous en conter. S’il conserve toujours « la petite pièce de l’espoir / dans un nœud de mouchoir », un nœud pour ne pas totalement oublier, il sait que la poésie c’est « sucer la moelle du cri ». Quel est ce cri ? Celui de Munch assurément, d’effroi métaphysique et d’effarement devant la sourde et impitoyable violence des faits, ceux d’une existence, ceux de l’Histoire.
Extrait de la préface de Jean-Pierre Siméon
et de ces glorieux accords du coucher de soleil
sur le bord du grand océan
surgissent tout à coup devant toi pour te saluer
les montagnes qui habitent ta mémoire et continuent de grandir
Tomnatec
Heniu
Suhard
encore plus loin
les sommets d'ombres boisées
de l'enfance toujours abreuvée par le temps
(p. 60, montagnes)
ce n’est que par une sorte d’inattention de l’attention
que tu perdis ta dernière décennie en une seule année
lorsque rêveusement tu tournais la tête devant quelque chose
qui te regardait sans te regarder
dans l’épaisse ironie du temps...
Philémon le poète comique
un siècle après la mort d'Euripide
se vantait en disant que si les morts gardaient encore leurs sentiments
ils se pendraient juste pour pouvoir lui causer
et moi pour Holan –peut-être– celui qui fut affublé d'un « H »
comme Hamlet…
(p. 65, Holan)