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Critique de Bouteyalamer


La Tentation de Saint Antoine, régal visuel chez Bosch ou chez Patinir, trouve ici une version littéraire, tout aussi foisonnante, tout aussi symboliste. Flaubert lui accordait une importance extrême sans pourtant parvenir à ses fins, car il l'a écrite trois fois en trente ans. Au premier abord, son livre est un récit qui boucle sur lui-même. Antoine quitte sa Thébaïde, voyage dans le temps, dans le monde et dans l'espace, retourne à sa grotte et reste un saint, un saint stoïque et délirant qui hésite jusqu'à la dernière page entre l'extinction dans la matière (« Je voudrais […] pénétrer chaque atome, descendre jusqu'au fond de la matière, — être la matière ! ») et la fidélité à sa foi (« Tout au milieu, et dans le disque même du soleil rayonne la face de Jésus-Christ » p 276).

De quoi s'agit-il ? Certainement pas d'une profession de foi car les idées — religions et philosophies, avec leurs schismes et leurs caricatures — font l'objet de listes bavardes, sans profondeur ni hiérarchie, volontiers teintées de sarcasme (la déconfiture des dieux olympiens p 206+, Crépitus le pétomane p 225). Peut-être d'un théâtre où Antoine, Hilarion et les autres tentateurs interviennent en dialogues précédés d'annotations de mise en scène, à grand renfort de majuscules et de points d'interjections. Ou d'un poème en prose, contemporain des Illuminations, que Flaubert n'a pas lu, et qui précède le décadentisme. Ou enfin d'une livre d'image où les idoles, les héros, les peuples, les villes fabuleuses, les animaux fantastiques et les monstres font l'objet d'illustrations verbales, oniriques, bien souvent délectables : « Veux-tu le bouclier de Dgian-ben-Dgian, celui qui a bâti les pyramides ? le voilà ! il est composé de sept peaux de dragon mises l'une sur l'autre, jointes par des vis de diamant, et qui ont été tannées dans de la bile de parricide » (p 46) « A chaque degré de ses larges rameaux se tient dans l'air un couple d'esprits. Les branches autour d'eux s'entrecroisent, comme les veines d'un corps ; et ils regardent la vie éternelle circuler depuis les racines plongeant dans l'ombre jusqu'au faite, qui dépasse le soleil » (p 123) « Quand je fus prêt à partir, le Roi me donna un parasol, et il me dit : “J'ai sur l'Indus un haras de chameaux blancs. Quand tu n'en voudras plus, souffle dans leurs oreilles. Ils reviendront” » (p 142). Une mention spéciale pour « Un homme nu », qui devient « le Buddha » (p 169-170) : « Pour délivrer le monde, j'ai voulu naître parmi les hommes. Les Dieux pleuraient quand je suis parti. J'ai d'abord cherché une femme comme il convient : de race militaire, épouse d'un roi, très-bonne, extrêmement belle, le nombril profond, le corps ferme comme du diamant ; et au temps de la pleine lune, sans l'auxiliaire d'aucun mâle, je suis entré dans son ventre. J'en suis sorti par le flanc droit. Des étoiles s'arrêtèrent ».

On trouve le reflet — ou la caricature — de cette indétermination dans les 555 notes et variantes qui concernent la version de 1874.
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