Le premier roman de
Robert Flinker ne ressemble pas forcément au suivant, "
Fegefeuer", qui doit beaucoup à Kafka. "
Der Sturz", c'est la chute, mais
Robert Flinker n'a rien publié de son vivant. Son frère Ernst Maria a apporté les manuscrits chez Kriterion à Bucarest une quinzaine d'années après sa mort. À l'origine, le roman devait semble-t-il s'intituler "Eulenspiegel", dont la chute n'est en effet qu'une partie de l'ouvrage. Eulenspiegel, c'est
Till l'Espiègle, du nom d'un héros populaire, surtout dans les Flandres, où il a été popularisé par
De Coster, en musique par Richard Strauss. L'une de ses caractéristiques est d'exécuter les ordres au premier degré à la lettre, sans chercher leur sens.
Après une enfance solitaire, Eulenspiegel occupe un poste de peu d'intérêt, qu'il quitte pour effectuer de longues marches solitaires. Au cours de l'une d'elles, il rencontre Else, une étudiante dont il est amoureux. Elle part en vacances, à la rentrée elle l'ignore et il perd son père. On le retrouve quelques temps après, avec un groupe d'amis et un nouveau président qui vient de prendre le pouvoir et prétend entraîner le pays dans une nouvelle ère. Eulenspiegel, à la faveur d'une conversion dévote rapide et d'un discours public opportuniste, devient adjoint au maire. Contre toute attente, il démissionne. le pouvoir lui en tient évidemment rigueur...
Ici, le régime politique décrit ressemble fort bien à la réalité, le président évidemment à Hitler. Eulenspiegel est révélateur des absurdités du régime et celui qui appelle à la résistance comme son modèle. Flinker témoigne ici d'une connaissance assez subtile des mécanismes de la dictature et surtout des réactions qu'elle engendre, des croyants aux opposants en passant par les opportunistes. En filigrane, avant la chute, sa sensibilité à fleur de peau, notamment la recherche de l'amour rédempteur, tempéré par une lucidité sans fard sur son caractère éphémère et sa dilution voire sa perte dans le quotidien. C'est peut-être cette absence d'illusion qui l'a mené à sa perte, un suicide, de l'aveu de son frère, pour une banale histoire d'amour, presque une bluette.
Le roman n'en comporte pas moins d'étranges moments plus ou moins kafkaïens, car ils sont proches aussi du surréalisme : les relations avec l'oncle dans la première sont de ceux-là, parmi les pages les plus marquantes que j'aie lues, notamment lorsqu'il simule la mort dans un spectacle au collège. Autre facteur qui éloigne de l'étiquette kafkaïenne, des moments de parodie ouverte, comme quand Eulenspiegel se demande des arts décoratifs, si c'est vraiment de l'art, au moins? ou lorsqu'il flatte l'enseignant dont il cède aux charmes de la femme. Matière à admiration...