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Critique de Zonaires


S'il est souvent difficile de voyager avec intelligence, les récits produits en retour le sont certainement davantage. Dans son dernier opus de Nouvelles en partance, (Qui comme Ulysse) Georges Flipo a su contourner les obstacles propres à ce genre d'exercice en ne s'aventurant que sur les chemins balisés de son esprit. Pour Ulysse, héros de l'odyssée et pour nous autres, compagnons de route occasionnels, il ne s'agit pas d'un tour du monde alliant la mythologie aux sirènes de la modernité mais bien d'un voyage dans les limbes d'un monde intérieur. Pour autant, il ne faut pas croire qu'un tel périple soit exempt de stupeurs et de tremblements. Disons-le sans détour Ulysse n'est pas un colporteur de rêves exotiques. C'est un voyageur universel. Si ses attributs sont multiples, le héros lui est unique et chacun de ses périples nous donne à réfléchir sur ce qu'il en est de la solitude et les moyens de s'en arranger. Que celle-ci se décline du côté de l'exclusion ou du repli sur soi, de l'effondrement ou de la contemplation, de l'exil ou du deuil, la confrontation se joue tour à tour sur la capacité des uns et des autres à vivre sous la menace de la perte et à supporter, une fois livré au monde, le trop plein du manque.
Georges Flipo n'entraîne pas le lecteur à se reconnaître dans les différents habits du voyageur pas plus qu'il ne lui demande de l'accompagner dans une sorte de double imaginaire de lui-même. Ses nouvelles en partance sont avant tout des fugues. Des échappées belles qui réussissent à subjuguer le lecteur en quelques mots, le temps de brosser le tableau d'une vie misérable, le temps d'éprouver les moyens de ruser avec l'autre, de se mettre à l'abri de son regard, de se soustraire à son désir, bref de le mettre à l'écart. L'important, nous souffle Ulysse, n'est pas seulement de franchir les mers et de s'emmitoufler quelque part dans une sorte de touffeur extatique, tout voyageur un peu sincère en a ressenti un jour l'inanité, l'important c'est ce temps, furtif, proche de l'ivresse, où l'être en partance entend le saisissement du coeur et de l'âme avant d'être projeté en avant vers l'inconnu.
L'auteur, grand voyageur, sait bien qu'il est vain de vouloir partir à la rencontre de l'autre dès lors où celui-là ne l'attendrait pas. La rencontre s'opère toujours avec quelqu'un d'unique, de surprenant, de séduisant et cela vient seulement dire que l'on s'est reconnu dans son désir de partage, qu'on le détermine en quelque sorte. Les voyages n'ont rien à voir là-dedans. le touriste, bête noire de l'auteur, ne fait que virevolter sur place, en circuit fermé, il n'emprunte jamais ces chemins cachés qui mènent au croisement des battements du coeur de l'au-dedans et de l'au-dehors de soi. Emporté au plus près de la foule, Ulysse voudrait toucher, presser, embrasser en un seul enveloppement l'intimité du monde et, dans l'épaisseur de la nuit, tenter encore et encore d'exorciser tout le mal de l'âme humaine.
Nouvelle après nouvelle, Georges Flipo invite le lecteur à entendre les voix de ce périple intérieur, à percevoir l'incessante errance de l'homme dans la nuit terrestre, son besoin de franchir les frontières, de les déplacer, de les détruire… et à mesurer combien est grande son obstination à les reconstruire.
Pris dans la caricature d'une liberté entrevue, Ulysse interpelle le voyageur avec ces ultimes questions : qu'est-il donc arrivé ? qu'ai-je donc vécu au juste ? Les sentiers de la mémoire deviennent toujours plus âpres, se dit-on en refermant le livre. On peut se sentir désespérément seul mais Ulysse est toujours là, longtemps après, à nous faire des signes de bienvenue ou d'adieu selon notre envie ou non de passer de l'autre côté du miroir et de le suivre dans un hypothétique pays des merveilles. C'est si bon de danser en rêvant, en se rêvant… en tout cas c'est ce qu'on raconte à la Confiteria Ideal.
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