Quand tout était fini, on sortait la boîte à bonbons. Il y en avait tant que les petites ne savaient jamais que choisir. Certains jours elles avaient droit à tout, mais parfois il fallait n'en prendre qu'une seul. Elles n'avaient jamais compris cette règle du nombre et avec le temps, avaient cessé de s'interroger. Elles choisissaient et faisaient craquer sous leurs dents les petites sphères caramélisées. Sur le fourneau la cocotte en fonte bouillonnait d'odeurs et de promesses. Il ne restait plus qu'à attendre.
La grand-mère aimait les livres qui faisaient marcher l'esprit : Les Hommes, Les rumeurs du monde ou encore Les derniers pachydermes des terres rouges. Ces titres fascinaient les petites. Ils ouvraient en elles des univers inconnus. Loin du manoir, loin des poutres du grenier rassurant, loin des baignoires en étain dans lesquelles on les baignait depuis leur premier cri.
Les petites étaient un peu déçues de n'avoir pas eu à refuser une injonction plus grave. Elles auraient aimé tendre leurs bras vers le ciel en vociférant très fort, pour que le monde entende de quelle révolution importante elles pouvaient se chauffer.
Les mères dormaient dans un endroit vaporeux. Entre les causeuses,les pots de poudre et les tables d'étude, on ne trouvait pas grand-chose.C'était pourtant un lieu sacré, un autel d'exaltation du vide. C'était à l'intérieur des corps qu'on trouvait les porosités aux idées enchevêtrées, en permanente agitation. A l'extérieur, sur la peau et sur la surface des meubles cirés, tout était lisse et sans accroc, inaccessible et impalpable.