AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de michfred


"Tout se passe sous notre responsabilité, Roberto: aider les personnes, ne pas les traiter comme de simples parties dans le jeu du procès. Des exceptions oui, des erreurs, non."

Ainsi parle Giacomo Colnaghi, substitut du procureur à la cour de justice de Milan: il a une haute idée de la justice. Il aime son métier et se laisse dévorer par lui.

La période est redoutable: les années de plomb, celles où l'Italie, après les attentats de la gare de Bologne et de la Piazza Fontana à Milan dus au terrorisme d'extrême-droite, sombre dans le terrorisme d'extrême- gauche qui en est la réplique -probablement provoquée par une" stratégie de la tension" orchestrée en sous-main...

A la fin des années 70, les Brigades Rouges ou ses nombreuses factions dissidentes - Prima Linea etc...- enlèvent, tuent, des dirigeants politiques, des industriels, des magistrats...

Giacomo Colnaghi est en charge, avec deux autres magistrats, de ces attentats, de ces assassinats. Il n'a guère le temps de s'occuper de sa petite famille, sa femme Mirella et ses deux enfants, demeurés en province: il vit dans un petit appartement à Milan et passe son temps à travailler.

Il enquête, il arrête , il interroge, il sanctionne. Il refuse qu'on le protège, qu'on l'escorte. Il vit dangereusement.

En tant que magistrat, il incarne aux yeux des BR, l'Etat bourgeois, et cette démocratie chrétienne qui a si mollement combattu le fascisme et si peu puni les sanglants attentats de Bologne ou de Milan. Il est donc une cible du nouveau terrorisme rouge.

Pourtant, Giacomo n'est pas un bourgeois et il ne sera jamais un fasciste. Mais il est, qu'il le veuille ou non, un rouage de l'Etat et c'est, profondément, un démocrate ET un chrétien. Un chrétien de gauche plus qu'un démocrate-chrétien...

Il est un enfant de pauvre, qui a choisi un métier mal payé et dangereux par idéalisme; il est surtout un orphelin dont le père, un résistant communiste, un partisan de la brigade Garibaldi, a été torturé et tué par les fascistes pour avoir brûlé des cartes de rationnement au temps de l'occupation allemande et de la "république sociale "de Salo', la bien-nommée...

Ce beau roman fait le portrait non d'un juge, mais d'un Juste qui porte haut son idéal, sa dette à l'égard d'un père admiré et adoré, son questionnement permanent sur la justice et son refus de toute colère.

Un Juste qui veut aussi comprendre, et pas seulement juger, et, qui sait, arrêter l' escalade sécuritaire et la surenchère de la vengeance qui ne mènent qu'au chaos et à la violence sans fin.

Dans son train-train quotidien - un week end à la plage, une course à bicyclette ou un repas au restaurant avec deux vieux amis, une discussion presque banale avec sa femme ou sa mère,- se ménagent de larges temps de réflexion : débat avec un membre des brigades rouges, une chrétienne, un autre magistrat, sur la faute, le pardon, la justice, la sanction -l'auteur, Giorgio Fontana, a fait des études de philosophie.

Mais l'équilibre entre le quotidien banal et la hauteur de la réflexion reste naturel, et le portrait de Colnaghi, pris entre ces deux pôles, gagne en épaisseur, en profondeur et en humanité.

Il est aussi touchant quand il répare le pneu de sa bicyclette que quand il donne sa pensée sur le mal.

La vie anodine et menacée de Giacomo s'entrelace avec le récit de l'engagement et de la mort de "Beppo" - le nom de guerre de son père, un "nom de chien" pour "une vie de chien"- récit reconstitué par la mémoire passionnée du fils, qui porte sur son coeur et relit tout le temps le dernier message de ce père - un Juste lui aussi.

Ce deuxième récit, intégré au premier, donne à la trame historique son éclairage et sa complexité: si L'Italie a connu les secousses du terrorisme noir suivies de celles du terrorisme rouge, c'est bien dans cette période de la guerre, du fascisme, de la résistance - et de la guerre civile qui a suivi la chute de Mussolini en 1943 , qu'il faut en chercher les racines.

Un livre intéressant, un double éclairage historique justifié, un héros humain et attachant: bref, une belle découverte!
Commenter  J’apprécie          253



Ont apprécié cette critique (24)voir plus




{* *}