L'aimerait-il dans la réalité aussi fort que dans les fantaisies qu'il entretenait à son sujet depuis si longtemps ? Était-il prêt à la découvrir heureuse et sereine auprès d'un autre, à essuyer un rejet, ou à la découvrir disposée envers lui, mais vieille, fanée, amère ? Pourrait-il supporter de revenir bredouille ou coupé de sa plus grande source d'inspiration ?
Dans sa vie d'avant, elle avait toujours agi selon la volonté d'un autre. Avec Blaise, elle tenait à ce que ce soit différent. Au contraire de toutes ces bêtes qui ne lui avaient inspiré que de la froideur, du mépris ou de la pitié, elle voulait le désirer tant que ça en soit insupportable. Elle voulait que cet attrait immense l'habite à un point tel qu'il puisse faire la différence, le moment venu, entre ce qu'elle ressentait jadis en tant que fille commune et ce qu'elle éprouverait bientôt en tant que femme ordinaire qui aime et se laisse aimer.
Pour lui, il n'y avait pas de physiques laids, seulement des beautés qui entraient dans l'une ou l'autre de ses catégories: les beautés classiques dont les proportions et les caractéristiques correspondaient aux canons édictés de la société, puis les beautés atypiques, celles que l'on oubliait de remarquer ou qu'au contraire on remarquait trop cruellement.
Elle avait été un boulet pour sa mère et elle ne supporterait plus jamais de l'être pour quelqu'un d'autre. En contemplant son compagnon, elle pensa avec une pointe au cœur à tout ce qu'il était pour elle. Fallait-il qu'elle soit folle pour songer à l'abandonner ? Triste, mais résolue, elle continua de regarder la route qui s'étendait devant elle. Son chemin était là, quelque part. Elle ne devait pas le manquer.