Chamboula

Une histoire de la colonisation économique de l'Afrique noire traitée avec talent et originalité. Paul Fournel choisit l'angle du burlesque pour parler de cette décomposition du « village fondamental » qui débute avec l'arrivée des premiers frigos, des premiers postes de télévisions, puis des forages de pétrole à l'endroit où sont enterrés les anciens et se termine, avec la complicité des autochtones corrompus, par l'édification d'une ville gigantesque, la construction d'un club de vacances pour Occidentaux et l'avènement d'une parodie de système démocratique. Quant à la belle Chamboula, elle est celle qui tente d'échapper à cette folie destructrice, elle est celle qui essaie de sauver les valeurs ancestrales en utilisant le pouvoir que lui confère son physique parfait qui fascine tant les hommes, ceux du village mais aussi les blancs.
La forme du récit est originale et parfois complexe avec des chapitres très courts et une juxtaposition de plusieurs scénarios possibles. Ainsi, Boulot, le premier ouvrier noir décide de quitter l'Afrique en s'embarquant dans le train d'atterrissage d'un avion mais, une fois à Paris, il devient au choix : soit un mort définitivement congelé, soit un mort qu'on parvient à ranimer, puis un sportif de haut niveau ou un « sans papier » ordinaire ou un diplômé de sciences politiques qui reviendra au pays pour exercer le pouvoir, etc.
Cette histoire est une version moderne très réussie du mythe du « bon sauvage » corrompu et dénaturé par la civilisation occidentale mais l'auteur évite les clichés simplistes du gentil Noir détenteur de toutes les vertus et victime du méchant Blanc, porteur de tous les maux. C'est plutôt une peinture cruelle et drôle du genre humain sous forme de fable. La construction de l'histoire, parfois déroutante, s'inscrit évidemment dans la tradition de la littérature oulipienne (Paul Fournel est l'actuel président de l'Oulipo).