AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Arimbo



On dit que l'on peut faire tout dire aux chiffres. Mais quand ils sont présentés par Jérôme Fourquet, le Directeur du Département Opinion à l'IFOP, que celui-ci s'appuie sur des données multiples de nombreux sondages, d'analyses fouillées de l'INSEE, que ces chiffres sont argumentés avec beaucoup de précautions, de nuances, alors on obtient un ouvrage remarquable et passionnant, une véritable photographie en haute définition de notre société française, une analyse détaillée de sa fragmentation et des conséquences de celle-ci sur notre paysage politique.

Le livre se divise en 3 parties.

Dans une première, l'auteur nous montre que la "matrice" catholique qui contribuait fortement à la structuration de la société française s'est effondrée à partir des années 1950-1960, et nous décrit les différents signes de ce qu'il nomme un basculement anthropologique, caractérisé entre autres, par la reconfiguration des structures familiales (baisse des mariages, hausse des divorces, prédominance des couples non mariés), par l'acceptabilité majoritaire de l'IVG et de l'homosexualité, par un nouveau rapport au corps (hausse des pratiques d'incinération, de tatouage, ...), et par le développement de la cause animale.

Dans une deuxième partie, l'auteur montre comment la société française s'est fragmentée depuis cinquante ans.
Il y a d'abord la disparition de l'église "rouge" qu'était le parti communiste, contrepoids au bloc catholique.
Il y a surtout le développement de l'individualisme dont témoigne par exemple la multiplication des prénoms rares, le déclin des grands médias et le recours de plus en plus important aux réseaux sociaux, générateurs de fake-news propagatrices de théories du complot, surtout chez les jeunes.
Puis, c'est le tableau, pas forcément joyeux, de notre société "archipellisée" qui nous est peint:
- des élites diplômées de l'enseignement supérieur (CSP+) qui vivent dans l'entre-soi au sein des centres des grandes agglomérations, déconnectées du reste de la population;
- des classes moyennes et populaires, moins ou pas diplômées, souvent affectées par la mondialisation, qui vivent dans la périphérie des grandes villes, dans les petites villes de province, et dans le monde rural;
- des identités régionales bretonnes et corses persistantes et qui se sont renforcées en ce qui concerne la Corse;
- et puis un grand nombre de pages est consacré à la population arabo-musulmane. L'analyse est très fouillée, très nuancée, et cela vaut le coup de lire ces pages. Elles nous montrent la dynamique démographique, la géographie particulière, surprenante, de l'implantation de cette population; des preuves à la fois de l'intégration, notamment professionnelle, de cette population mais aussi des signes identitaires pas forcément problématiques comme le choix des prénoms, mais d'autres à rebours du reste de la société française tels la pression sur les femmes et les filles concernant l'endogamie, ou plus inquiétants comme la virginité avant le mariage, et ceci, comme l'on pouvait s'y attendre dans les quartiers où la proportion de cette population est importante, et chez ceux qui pratiquent la religion, mais, moins attendu et préoccupant, plus marqué les plus jeunes.
Et puis, l'auteur nous montre comment très souvent, quartiers arabo- musulmans, ou d'immigration sub-saharienne, cumulent pauvreté, trafic de drogue, et apartheid scolaire, contribuant de façon saisissante à une fragmentation d'une ville, même moyenne, comme Compiègne ou Carcassonne.

La troisième partie est consacrée au basculement idéologique et électoral de ces 30 dernières années.
L'auteur y identifie trois années "clés": 1983 où deviennent visibles simultanément Beurs et FN, 2005 et le non au référendum européen, 2015 et les attentats qui révèlent que tout le monde n'a pas été Charlie.
Sans entrer dans les détails, la suite, qui analyse de façon exhaustive, chiffres à l'appui, l'évolution du paysage électoral, montrent, si on veut faire simple, la disparition de l'antagonisme droite-gauche au profit d'une division selon le niveau d'éducation et d'ascension sociale, et selon la géographie, entre un bloc de "gagnants", BAC +3 majoritairement, cadres supérieurs ou moyens, ouverts sur le monde, pro-européens, flexibles et ouverts aux changements sociétaux, et majoritairement urbains, et un autre bloc de "perdants", ouvriers, employés, instituteurs, mais aussi dans une certaine mesure, petits artisans, commerçants, donnant la préférence à la France plutôt qu'à l'Europe et au monde, et vivant à distance des grands centres urbains.
Dans les premiers, on trouve ceux qui ont voté Macron à la présidentielle, dans les seconds la majorité de ceux qui ont voté le Pen.
Cette argumentation fondée sur de nombreux chiffres et schémas, et que l'auteur nuance en analysant aussi le vote pour La France Insoumise, le vote socialiste et LR, est absolument passionnante, car elle montre une France divisée sur le plan électoral selon le niveau d'éducation et la géographie, et dans laquelle la population arabo-musulmane se retrouve dans les deux blocs, même si, au sein du bloc "perdant" le vote France Insoumise y est prépondérant.

La conclusion est plutôt pessimiste sur les potentialités d'éclatement de cet archipel français, que l'auteur trouve incapable de retrouver une unité.
Je trouve ce constat un peu sévère. Un corps social ne peut être homogène, et il y a eu par le passé des oppositions très fortes, que l'on songe aux grèves de 1936, à mai 68. Et on peut noter une France plus homogène que l'Espagne avec la volonté de sécession de la Catalogne, et relever aussi l'antagonisme Flandre-Wallonie en Belgique, Ecosse-Angleterre au Royaume Uni, l'opposition entre Italie du Nord et du Sud, entre ex-RFA et RDA.
Mais j'approuve ses arguments sur l'incertitude quant à l'avenir, fondés sur de l'arrivée dans le corps électoral des tranches d'âges plus jeunes, plus sensibles aux Fake-News, et le départ des plus âgées!

Il faut noter que ce livre est paru en mars 2019, et que depuis, les élections municipales ont montré une forte poussée du parti écologiste, en particulier dans les grandes villes, celle des "gagnants". Est-ce que la prise de conscience du péril climatique, de la perte de biodiversité, de l'importance du "local" face à une mondialisation nous amenant de méchants virus, va encore changer les comportements électoraux des français, ou mieux, on peut rêver, fédérer le pays, voire l'Europe, dans une lutte contre le réchauffement climatique?
Commenter  J’apprécie          475



Ont apprécié cette critique (30)voir plus




{* *}