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Critique de Paulette2


Le point de départ d'Hélène Frappat est un film de George Cukor de 1944, "Gaslight" ("Hantise" en VF), où l'on voit la pauvre Ingrid Bergman se faire manipuler par son mari sadique, Charles Boyer. Afin de la faire douter de sa santé mentale et de grignoter progressivement son équilibre intérieur, il baisse progressivement la lumière au gaz de leur maison tout en niant le faire, ou bien il lui offre un bijou qu'il cache ensuite. le mot "gaslighting" est entré dans la langue anglaise à la suite de ce film. Il est actuellement à la mode, devenant même "mot de l'année" en 2022 pour le dictionnaire américain en ligne Merriam Webster.

Quand l'autrice, philosophe et cinéphile, Hélène Frappat s'en empare, elle définit ainsi le concept du "gaslighting": "manipulation psychologique d'une personne, généralement pendant une longue période, qui pousse la victime à remettre en cause la validité de ses propres pensées, de sa perception de la réalité, de ses souvenirs, et conduit généralement à un état de confusion, de perte de confiance et d'estime de soi, de doute de sa propre stabilité émotionnelle ou mentale, et à une dépendance envers son bourreau".

Puis elle étire le concept en se lançant dans ce qu'elle appelle une "enquête généalogique sur une structure sociale". le gaslighting s'appliquera donc à la ménagère étasunienne des années 50-60, aux femmes hystériques, dont Cassandre est la figure originelle, mais aussi à Donald Trump, grand gaslighter devant l'éternel, à la Shoah, aux totalitarismes... Elle distingue même un nouveau genre, les "gaslight movies", sortes de mises en scène du doute, dont Alfred Hitchcock est un excellent représentant.

Si la réflexion déclenchée par ce livre est intéressante, si le sujet de l'identité féminine confisquée ne l'est pas moins, la méthode employée m'a déplu. J'ai trouvé le style empâté par des procédés qui le freinent et l'alourdissent (incises, slashes et italiques trop nombreux, découpage en chapitres inutilement compliqué). de plus, les références et citations sont tellement nombreuses qu'elles rendent la lecture oppressante. Toute cette machinerie complexe ne dessert pourtant qu'une seule idée à laquelle on revient de manière obstinée alors qu'on l'a bien saisie, idée qui sert de couteau suisse pour comprendre l'ensemble des problèmes dont souffre la femme en particulier, et l'humanité en général : le gaslighting.
Une usine à gaz ?
On a l'impression que l'autrice s'éblouit elle-même dans le feu d'artifice d'intelligence qu'elle crée, ravie, en oubliant le lecteur. Un exemple : tout au long de son essai, elle va raconter avec délice le film de Cukor, séquence par séquence. Or, mettre des images en mots, ça ne marche pas, sauf peut-être pour celui qui raconte...
Cette lecture m'a donné l'impression d'avoir tourné en rond alors que j'aurais souhaité prendre de la hauteur. Un texte qui dénonce l'asservissement devrait rendre libre, non oppresser.

Alors pour celles et ceux qui s'intéressent à ce sujet passionnant, je préfère recommander de se dégager de la parole envahissante d'Hélène Frappat et de se plonger dans les oeuvres dont elle parle, soit :
- le film de Georges Cukor, "Gaslight"
- "Le Papier peint jaune" de Charlotte Perkins Gilman
- le fabuleux podcast sur l'hystérie ("Les Fantômes de l'hystérie. Histoire d'une parole confisquée" de Pauline Chanu, France Culture, LSD/La série documentaire).
Mieux vaut parfois laisser le sens cheminer sans forcer, en laissant agir l'éblouissement esthétique ou la puissance des témoignages...

Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices Elle 2024

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