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Critique de babounette


MINUIT DANS LA VILLE DES SONGES - René Frégni - Éditions Gallimard - lu en mars-avril 2022 - Roman autobiographique.

Cher René,

Avec un titre aussi poétique que celui-là, votre livre aurait dû se placer au centre de la vitrine de tous bons libraires, comme tous vos autres livres d'ailleurs à mon humble avis (je les ai tous lus), mais mon libraire A Livre Ouvert dans la commune de Bruxelles où je vis, l'avait dans ses rayons, je n'ai pas dû attendre pour l'acheter.

Vous me faites entrer dans votre univers familial par la petite porte, celle
qui s'ouvre sur vos souvenirs, ceux de votre enfance, de votre scolarité, dans cette ville des songes, Marseille, vous qui ne rêviez que de vous échapper dans les chemins des forêts, ce que vous faisiez d'ailleurs très souvent, comme je vous envie d'avoir eu ce courage-là, celui de fuir les sentiers battus bien entretenus pour aller vers la vie sauvage et libre.
"Je détestais les livres d'école, je n'aimais que la voix de ma mère. Durant toute mon enfance, aux confins de Marseille, je suis allé à l'école au bout de notre impasse, avec la peur au ventre d'être interrogé, avec ce rat de peur qui me rongeait le ventre". page 14 Comme je vous comprends.

Vous êtes né déserteur dites-vous, et vous avez déserté l'armée, vous avez fui vers des horizons plus vastes, cela n'a pas été simple, vous avez fait des rencontres parfois un peu douteuses mais desquelles l'amitié a surgi. Vous êtes resté fidèle à vos convictions.

Le petit garçon qui n'aimait pas l'école s'est mis à dévorer les livres, vous deveniez les héros de vos lectures, elles vous ont bouleversé.
"J'étais Edmond Dantès, Fantine, Jean Valjean, Rémi de Sans famille".

Vous êtes passé par la prison aussi, on ne déserte pas l'armée sans conséquence, et là aussi, grâce à l'aumônier, vous vous êtes plongé dans les livres, vous avez eu votre premier cahier rouge, vous preniez des notes, sans savoir qu'un jour vous deviendriez écrivain et que vous animeriez un atelier d'écriture dans une prison.

La dernière porte de la dernière école que vous avez franchie vous aviez 16 ans, "Je quittai la classe et traversai la cour dans un silence de sépulcre. Personne n'osait croire à ce qu'il venait de voir. Pour la dernière fois de ma vie, je franchis les portes d'une école. Je venais d'avoir 16 ans". page 32

Je ne vous raconte pas ce qu'il s'est passé, lisez le livre !

Vous me présentez à votre famille, votre maman, je la connait déjà bien, vous en parlez dans tous vos livres, "Ma mère était plus douce et affectueuse que la Vierge Marie". On découvre votre père un peu mieux, c'est Noël, la crèche, les santons, il vous raconte l'histoire du boumian qui "emportait dans son sac ceux qui désobéissaient à leurs parents".
Il travaillait beaucoup votre papa.

Votre maman est loin maintenant, mais vous lui parlez chaque jour.
"Il y a autour de moi, depuis tant d'années, tant de Noëls, la tendresse de ma mère qui écarte à chaque instant l'inquiétude et la peur, et qui est aussi merveilleuse que nos jardins d'enfance, la marche des saisons et la beauté du monde". Page 17

Et puis, quel étonnement de découvrir que vous avez une soeur et un frère !
Une soeur chez qui vous vous êtes réfugié quelques temps. C'était mai 68.

Votre passage dans cet hôpital psychiatrique est aussi important pour vous, vous l'avez évoqué dans un de vos livres, vous y avez découvert "un monde de misère, de délires et d'oubli." Vous avez fait des études d'infirmier, vous leur faisiez la lecture à l'ombre d'un grand arbre à ces pauvres hères et ils aimaient ça.

Vous avez atterri dans la prison de Vincennes, dernière étape de votre fuite et de votre vie de nomade avant d'être libéré et votre dossier de déserteur clôturé grâce à l'aide d'un avocat généreux.

Et puis, enfin, vous vous êtes essayé à l'écriture d'un roman, puis d'un second, mais hélas ils ne rencontrèrent pas le succès, ils ont été ignorés. Puis un troisième qui celui-là attira l'attention d'un éditeur et ce fut le début de votre vie d'écrivain, vous le mauvais élève, la tête dure, le révolté, vous avez réussi. Quelle victoire, quel bonheur pour votre maman qui vous rêvait instituteur.
"Ce livre, dans la vitrine d'une librairie, un jour de septembre, c'était une façon de dire ce que l'on n'ose plus, quand on est devenu un homme, dire tout simplement "je t'aime plus que tout, maman", comme on le faisait, chaque jour, quand on était enfant". page 244.

A la fin de votre livre, vous revenez au temps présent, et votre écriture est empreinte de nostalgie et de tristesse, vous me parlez du virus qui a semé l'angoisse et la mort et "escaladé à pas de loup des escaliers, s'est glissé sans bruit dans les maisons".
"Il faudrait oublier toutes ces terres chimiques, ces forêts en flammes, ces rivières mortes... Partout la main de l'homme , l'oeuvre de l'homme. Comment oublier".

"Voilà mes journées maintenant, j'écris, je marche, je caresse la tête de mon chat devant les braises qui s'effondrent. Ça durera bien encore un peu... Qui s'occuperait de mon chat" ? Page 254

Cher René, je vous trouve bien pessimiste là, il y a encore de la beauté sur la terre, des âmes bonnes, et puis, non, vous n'êtes pas "vieux", vous avez vécu non pas une vie, non pas deux vies, mais mille vies et je suis certaine que vous avez encore des choses à me raconter là devant l'âtre avec Solex sur vos genoux, vos cahiers rouges aux pages blanches n'attendent que votre plume pour se mettre à vivre pour le plus grand plaisir de vos lecteurs.
Ne nous abandonnez pas.




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