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Critique de Tanvyeboyo


Individu-s et démocratie au Japon' est un recueil d'articles d'universitaires ‘japonistes', principalement français, et le thème semble suscité par une énième apparition en Occident de commentaires ethnocentriques sur l'éternel ‘dominant grégaire' chez les nippons. Cela irait jusqu'à suggérer encore de nos jours qu'il n'aurait pas d'individus au Japon. On connaît les déclinaisons ; après le péril jaune et les ‘fourmis', c'est le tour du stoïcisme version post-Fukishima, etc.
Le présent recueil ne sera pas lu et n'impactera pas la masse d'ignares pétris de racisme ordinaire. Mais il peut être utile pour un public plus ouvert au monde qui, espérons, n'est plus tenté par l'orientalisme classique, (le regard méprisant du monde arabe), déconstruit et discrédité par Edward Said. Existerait-il une sorte ‘d'extrême orientalisme'. Personne de sérieux ne peut nier l'humanité des japonais et la richesse de leur art et culture, mais on entend parfois que leur manque d'individualisme expliquerait leurs 30 dernières années de stagnation économique, alors que le même sens de la cohésion aurait précédemment fondé l'énorme succès de la période 1945-1985.
Sans nier l'importance de cohésion sociale au Japon, comme dans tout pays de tradition rizicole intensive, le livre balaie, dès l'introduction, toute suggestion de peuple ‘agglutiné'. Il a aussi le mérite d'associer cet argument à des réflexions sur la démocratie et l'éducation au Japon depuis la restauration de Meiji et l'avènement du Japon moderne.
A ce stade, permettez-moi un commentaire très personnel sur le mot ‘individu' qui a certes cours dans de nombreuses disciplines de sciences sociales. A notre époque, en France, le mot évoque les trop fréquentes interventions audiovisuelles de fonctionnaires et syndicalistes policiers, qui sont prompts à ‘présumer coupable' tout membre du public dont le faciès ou le comportement ne leur plait pas. Je préfère ‘personne', sujet ou acteur de son histoire, personne physique, citoyen.
Individu-s et démocratie au Japon' focalise sur l'interaction entre Japonais à travers leur histoire et celle de leurs institutions, plutôt que d'opposer, d'une part, sociétés dites ‘individualistes' et, d'autre part, sociétés ‘holistes' ou ‘groupistes'. Toute société construit des personnes et du liant. Les auteurs ont raison de se demander comment fonctionne la société japonaise, d'où vient-elle et comment, dans une démocratie moderne et imparfaite, prépare-t-elle un avenir respectueux de l'acquis national. Les mêmes questions se posent pour l'Union européenne et ses pays membres.
Le débat est constant depuis des siècles sur le conflit entre ‘individus' et ordres traditionnels. le Japon aura tout connu en 100 ans, un printemps prometteur de 1912 à 1927 et un hiver noir de 1930, devenant ‘nucléaire en 1945. Pendant cette période, depuis la restauration de 1868, bon nombre de citoyens, pourtant ‘sujets' d'un empereur ‘Dieu-vivant sur le retour' après une longue tutelle sous les shoguns, ont débattu, écrit, milité et souffert pour une vie meilleure.
Pendant cette période, d'autres japonais ont choisi de spolier la Corée et la Chine et de mener leur pays à la catastrophe. Certains japonais et asiatiques ont pu considérer les ‘gaijin', ou ‘lao-wai', comme de sous-hommes. Pour ces ignares là, nos défauts sont nombreux. Cheveux bizarres de toutes les couleurs, gros nez, corps blancs de cadavre ou de fantôme, incivils, bagarreurs et surtout terriblement individualistes! Trouvera-t-on des universitaires japonais, ou autres, pour rappeler que nous essayons de vivre en société. Et cela malgré le fait qu'une dame premier ministre (pas celle des ‘fourmis') a proclamé en 1987 que ‘la société n'existe pas'. Excès chronique d'individualisme.
Une grande partie du recueil est consacrée aux questions sociales plus ou moins liées au sujet de l'individu. Il y est question d'éducation, de la place des femmes en politique et de la discrète communauté homosexuelle.
La littérature et le cinéma sont cités avec les oeuvres de Soseki, Miyazawa et Miike qui ont tous abordé le thème d'une société en forte évolution. le terme est faible, quand on pense aux bouleversements consécutifs aux chocs de 1853 et de 1945. Comme souligne un article sur l'éducation, il est toujours regrettable que l'histoire moderne soit peu ou pas enseignée au Japon. le bachotage ne développe pas un esprit critique. Mais les Japonais voyagent beaucoup. Leur pays est riche, mais stagnant sur le plan démographique et économique. La population devrait baisser de 150,000 en 2015. La tendance va s'aggraver.
Le pays suit les recettes du libéralisme américain, mais aurait sûrement tiré meilleur partde la version ordo-libérale du modèle rhénan ou d'une voie propre. L'Europe est sur la même pente en économie et démographie. le Japon est-il un laboratoire pour un monde qui vieillit ? Que fera-t-il de son nucléaire civil après Fukushima ? Comment cohabiter avec la Chine et sa population 10 fois plus importante? le Japon bénéficie d'un certain 'soft power' en Asie et au-delà, mais il ne sait pas comment prendre ses distances avec l'Amérique, qui met la pression pour un accord commercial trans-pacifique (TPP). Cet accord a été conçu à Washington pour isoler la Chine et pour maintenir l'archipel dans le giron américain.
Ce livre n'apporte pas de réponse à ce genre de question, mais il nous rassure que les choix se feront dans le cadre d'une démocratie parlementaire moderne coexistant avec une monarchie ambiguë, souvenir d'un passé unique mais toujours d'actualité.
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