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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"La plupart des pièces que nous considérons comme les chefs-d'oeuvre tragiques ne sont que des débats et des querelles de famille."
(Jean Giraudoux)

Les trois volumes de "La dynastie des Forsyte" dans la bibliothèque parentale ont toujours été une sorte de mystère, quand je n'étais encore qu'une lectrice en herbe. J'ai réussi à arracher à môman l'explication du mot "dynastie", ainsi que l'information que "ça parle d'une famille riche en Angleterre" - comme c'était prometteur !
Il a fallu quelques années de plus avant que je ne recroise le chemin des Forsyte, et cette fois c'était par le biais de la télé... je crois que cette vieille série des années 60 n'avait pas deux spectatrices plus assidues que maman et moi.
Je ne parlais pas l'anglais, et les prénoms comme Soames, Jolyon, Montague et Winnifred sonnaient à mes oreilles comme des charmes magiques. Je traînais ensuite le livre avec ces héros télévisés, mes Harry Potter à moi, tous les jours à l'école, pour leur consacrer chaque récré (et même plus), car il m'était tout bonnement impossible de les quitter.
La saga des Forsyte est restée pour moi une maison littéraire que je peux ouvrir sur n'importe quelle page sans m'y perdre. Et ce fut un plaisir d'arpenter à nouveau les rues de Londres de la fin du 19ème siècle où on a fait connaissance, il y a si longtemps...

L'oeuvre de John Galsworthy est intéressante à bien des égards. Lauréat du prix Nobel de littérature (1932), il semble être tombé plus ou moins dans l'oubli dans les manuels de littérature anglaise. La comparaison avec les auteurs qui ont traité les mêmes thèmes avec davantage de pérennité littéraire s'impose toute seule : je pense notamment à Mann et à ses "Buddenbrook", que je n'ai jamais réussi à finir. Les deux livres parlent pourtant de la même chose - le déclin d'une famille aisée - mais aucun critique littéraire n'a jamais reproché à Thomas Mann d'avoir écrit une romance de bonne femme camouflée en grand roman générationnel.
Or, les "Forsyte" sont bien plus que cela, même s'il leur manque ce mélancolique pessimisme à la Schopenhauer qui imprègne le livre de Mann.
C'est vrai que c'est avant tout dans le premier volume de la trilogie ("Le Propriétaire" ; suivi de "Une comédie moderne" et "La fin du chapitre") qu'on trouve une véritable réflexion sur les changements qui ébranlent la société victorienne, et les deux autres ne font que développer les relations, amours et amitiés entre les protagonistes. C'est tout aussi vrai que le narrateur s'adonne avec une passion non-dissimulée aux descriptions de bâtiments magnifiques, intérieurs luxueux, fêtes et moeurs de la "haute", mais tout cela crée un inimitable genius loci... et dans les derniers chapitres, on ne peut que compatir avec le patriarche de la famille, qui médite tristement devant les tombes sur la mort de l'ère victorienne. Mais aussi sur l'essence du matérialisme, sur la nécessité de réussir et de posséder, sur la beauté et la façon humaine de la voir ; cette beauté vraie et libre que personne ne peut s'acheter...

Le nombre de pages est impressionnant, et elles sont peuplées de personnages plus nombreux que les fourmis dans une fourmilière. Pas une ne peut manquer, car son absence aurait dérangé la parfaite organisation de l'ensemble. Et puis le contenu... le contenu qui dépasse de loin la simple description d'une époque déjà révolue, où les hommes consultent leur montre à gousset, vouvoient leurs femmes, et se laissent parfois écraser par un fiacre dans l'épaisse brume londonienne. Tout ça pour l'amour. le souci principal de la femme est de bien se vêtir le matin, jouer du piano et ne pas tomber amoureuse du fils de son ex-mari, car cela apporte des "péripéties".

Dans son roman sur trois générations, Galsworthy nous parle évidemment des altercations entre le monde des jeunes et celui des anciens. Soames, Irène et Jolyon, jeunes rebelles du premier tome, deviennent à la fin les porteurs des valeurs anciennes du monde sur le point de disparaître. Ils se débattent pour comprendre celui de leurs propres enfants, en oubliant qu'ils étaient eux-mêmes la source de la pensée avant-gardiste il n'y a pas si longtemps. Mais même leurs enfants vont grandir, et devenir à leur tour les vieillards incompris... c'est un cercle et il est sans fin.
Soames et Jolyon représentent deux approches différentes envers la vie : le devoir et la passion. La vie de Soames, si laborieusement bâtie, pleine d'efforts, frustrations et sacrifices est en train de se désintégrer sans pitié, en lui riant en face. Jolyon et Monty font ce que bon leur semble, ce qui cause bien des peines aux autres, mais sont-ils finalement plus heureux que le vieux Soames ? Est-ce le chemin de la raison, ou plutôt celui du coeur, qui mène vers le bonheur ?
Aucun, si vous êtes un Forsyte.
Les Romeo et Juliette de Galsworthy ne meurent pas, ils continuent leur route, mais parfois ils vont se dire qu'un bon vieux coup de poignard quelque part dans les catacombes de Vérone serait une meilleure solution.
Ah, dire qu'il y a si longtemps, je croisais les doigts pour les jeunes Fleur et Jon, et je détestais de tout coeur le vieux Soames, puisque c'était un satané despote et tyran, alors que maintenant je dévore chaque page de l'histoire de Soames, Jo, et Irène, et j'arrive à les comprendre.
Il y a deux chemins qui permettent de traverser la vie, et un beau jour ils vont fatalement se croiser.
Avec la dernière poignée de main symbolique, 5/5, John.

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