HIVER
La neige craque comme du pain chaud
et la lumière est pure comme le regard de certains êtres humains
et je pense au pain et aux regards
tandis que je marche sur la neige.
Aujourd’hui c’est dimanche et il me semble
que le matin n’existe pas uniquement sur la terre
mais qu’il est entré doucement dans ma vie.
Je vois la rivière comme un acier obscur
descendre parmi la neige.
Je vois l’aubépine : flamber le rouge,
l’aigre fruit de janvier.
Et les chênes, sur la terre brûlée,
résister en silence.
Aujourd’hui, dimanche, la terre est semblable
à la beauté, à la nécessité
de ce que j’aime le plus.
Les spirituals (chanson religieuse) et les blues (évidence profane) ont une double fonction, qui s'ajoute à leur fonction esthétique : exprimer la souffrance et s'en consoler.
III
JE PARLE AVEC MA MERE
Maman : tu es maintenant silencieuse
comme l'habit de qui nous a quittés.
Je fixe le bord blanc de tes paupières
et je ne peux penser.
Maman : je veux tout oublier
au fond d'une respiration qui chante.
Passe-moi tes grandes mains sur la nuque
tous les jours pour que ne revienne pas
la solitude.
Je sais que sur chaque visage on voit le monde.
Ne va plus chercher sur les murs, maman.
Regarde le visage que tu aimes :
dans chaque visage humain, mon visage.
J'ai senti tes mains.
Perdu au fond des êtres humains je t'ai sentie
comme tu sentais mes mains avant ma naissance.
Maman, ne recommence plus à me cacher la terre.
Telle est ma condition.
Et mon espoir.
p.81
//traduction de Jacques Ancet
II
BLUES DE L'ESCALIER
Une femme monte dans l'escalier
elle a un chaudron plein de peines.
Une femme monte dans l'escalier
elle porte le chaudron des peines.
J'ai rencontré dans l'escalier la femme
et devant moi elle a baissé les yeux.
J'ai rencontré la femme et son chaudron.
Je n'aurai plus la paix dans l'escalier.
p.77
//traduction de Jacques Ancet
II
BLUES DU COMPTOIR
Il est venu le papier dans les mains
Il m’a fixé de ses yeux fatigués.
il est venu avec papiers et mains
et j’ai senti son regard dans ma vie.
S'il vient un autre jour avec ses mains
et son papier me fixer en silence,
j'espère savoir pourquoi il me fixe
pourquoi il est vieux, grand et pourquoi pèsent
au fond de mon cœur ces yeux fatigués.
p.73
//traduction de Jacques Ancet