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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"En fait, la mort ne lui importait guère, mais plutôt la vie : aussi bien, quand fut prononcée la sentence, n'éprouva-t-il aucun sentiment de frayeur, mais seulement de la nostalgie."
("Cent ans de solitude")

Autobiographie ou autofiction ? Qu'importe...
Je fais partie des inconditionnels de l'auteur colombien, et même les détracteurs de ce pavé qui le qualifient de "monument bâti à sa propre gloire" n'y changeront rien. Certes, on peut voir ces mémoires de Márquez comme un épigone ultime de lui-même, mais en ouvrant le livre, je n'en attendais pas moins.
Le portrait du bébé Gabito sur la couverture aurait probablement attendri même le biblique roi Hérode, et le contenu du livre m'a sincèrement enchantée.

Dans ses romans, García Márquez a développé avec beaucoup de succès un procédé qui fait voir les événements réels à travers le brouillard exotico-onirique. le terme "réalisme magique" pourrait sans doute déjà convenir à la bonne vieille Shéhérazade, mais ce n'est que la génération des écrivains latino-américains des années 60, Marquez en tête, qui en a fait sa "marque déposée". Ses personnages, suspendus dans les hamacs qui se balancent à l'ombre des bananiers dans une sorte de hors-du-temps mythique, ses périples baroques et ses localités fantasmagoriques comme Macondo étaient à l'époque une rafraîchissante nouveauté littéraire. Au fur et à mesure que sa position sur le marché littéraire se confirmait, ces facéties commençaient à perdre leur caractère unique, et le rêve magique devenait un tour de passe-passe éventé qu'on ne peut pas répéter à l'infini. Chaque livre a pourtant confirmé la fidélité de ses lecteurs, mais aussi les craintes des critiques que Márquez n'aura bientôt plus rien à dire. Est-ce vrai ? Comme d'habitude, c'est au lecteur de trancher...

Márquez commence ce projet monumental (qui devait, dans sa version définitive, consister en trois tomes) par le retour aux sources. le voyage à Aracataca en compagnie de sa mère est une occasion rêvée pour l'informer de son désir d'abandonner ses études de droit et devenir écrivain. Et déjà, lors de cet épisode-clé, le récit glisse en douceur dans l'hypnotisant balancement du hamac márquezien, et les spectres de ses romans se superposent aux personnages réels, un peu comme sur ces cartes holographiques qui changent d'image selon l'angle de vue. L'histoire de ses parents, celle du vieux colonel Márquez, son grand-père, celles de ses cousins, de ses incroyables tantes, de sa soeur Margot qui mangeait la terre...
L'auteur, qui selon ses propres mots "ne crée, comme chaque écrivain, qu'un seul et unique livre, même s'il paraît en nombreux volumes est sous des titres différents", reste fidèle à ce credo même dans ses mémoires. Les profondes introspections du petit Gabito qui salit encore ses couches, et ses étranges prémonitions quant à sa future inévitable carrière ne font que le confirmer.
La même autostylisation accompagne aussi son adolescence ; comme si Márquez puisait dans la mémoire collective des images d'un lycéen-poète nul en maths, vêtu de chemises à fleurs et de sandales de prophète, qui cherche l'inspiration dans les bordels et n'a pas un centavo en poche.
Peu à peu, ce dévoreur de livres se rend compte qu'il veut vraiment écrire, et fait ses premiers pas dans le journalisme. Les bleds caribéens Cartagena ou Barranquilla ne sont pas un tremplin idéal malgré leurs attraits, alors il va tenter la chance à la capitale.
Bogota est balayée par le vent froid qui souffle aux pieds des Andes, et malgré toute sa bonne volonté, Gabo n'a pas réussi à tasser les hamacs magiques dans ses valises. le récit change un peu, et nous propose plein d'intéressants détails sur le travail pour El Espectador, sur l'histoire de la Colombie, la politique, les racines de la guérilla, et sur les événements littéraires marquants de l'époque. Les rencontres et les noms de ceux qui ont contribué à L Histoire défilent à toute vitesse ; il est impossible de tout retenir, mais cela fait cristalliser une certaine image politique et culturelle qui est loin d'être sans intérêt.

Márquez, qui a passé des années à créer son mythe latino-américain, nous propose ici son mythe personnel. Il y devient tout ce qu'il pouvait devenir : bébé aux rêves prophétiques, élève miraculeux, poète maudit, chanteur de boléros, joueur de guitare à cinq cordes, Don Juan invétéré, journaliste engagé et enfin... un écrivain célèbre.
Dans les jungles urbaines que sont aujourd'hui Lima, Mexico City ou Santiago de Chile, une nouvelle génération a pris la plume. Sous les néons blafards des McDonald's, ils ont adopté le nom ironique de la "Génération McOndo", et ont transformé le paradis imaginaire des hamacs et des bananiers en enfer réel du béton, plein de violence, drogues, corruption et folie. Bayly, Fuguet ou Volpi ont les yeux grands ouverts et leur humour corrosif ronge le vieux mythe sans pitié. le rêve exotique est devenu cauchemar.
Mais cela n'enlève rien au charme singulier et abracadabrant du vieux barde Márquez, et ses fidèles se laisseront à nouveau envoûter avec bonheur par le son de son pipeau magique. 5/5, et vive le hamac !
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