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Citations sur Vivre pour la raconter (39)

Nous étions attablés à la seule cantine du village, buvant une bière glacée, quand un homme qui avait l'air d'un arbre, avec des jambières et un pistolet de l'armée à la ceinture, s'approcha de nous. Rafael Escalona fit les présentations, et il me fixa du regard en retenant ma main dans la sienne.
"Vous êtes parent avec le colonel Nicolás Márquez ? me demanda t-il.
- Je suis son petit-fils.
- Alors, votre grand-père a tué le mien."
C'était le petit-fils de Medardo Pacheco, l'homme que mon grand-père avait tué en combat singulier. Je n'eus pas le temps d'avoir peur, car il avait prononcé ces mots sur un ton chaleureux, comme s'il voulait me dire que d'une certaine façon nous étions parents. Pendant trois jours et trois nuits nous fîmes la nouba dans son camion à double compartiment, mangeant du ragoût de chèvre et buvant du brandy à la mémoire de nos grands-pères.
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C'est ainsi que se déroula la "marche silencieuse", la plus émouvante de toutes celles qu'a connues la Colombie. De l'avis de tous, partisans comme adversaires, au terme de cette journée historique l'élection de Gaitán était inévitable. Les conservateurs le savaient aussi, à cause de la violence qui avait contaminé tout le pays, de la férocité de la police contre le libéralisme désarmé et de la politique de terre brûlée. Le spectateurs de la corrida qui eut lieu cette même fin de semaine dans les arènes de Bogota assistèrent à l'expression la plus ténébreuse de l'état d'esprit du pays, quand la foule descendit des gradins, indignée par le flegme du taureau et l'incapacité du torero à l'achever. La populace déchaînée dépeça le taureau vivant. Les nombreux journalistes et écrivains qui avaient assisté à cet acte de barbarie ou l'avaient entendu raconter l'interprétèrent comme le plus épouvantable symptôme de l'épidémie de rage qui s'était propagée dans toute la Colombie.
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Car Mina voyait les fauteuils à bascule osciller tout seuls, croyait que le spectre de la fièvre puerpérale se faufilait dans les chambres des femmes en couches, que l'odeur des jasmins du jardin était un esprit invisible, qu'une ficelle tombée par terre dessinait les numéros du gros lot de la loterie, qu'un oiseau sans yeux s'était égaré dans la salle à manger et qu'on n'avait pu l'en chasser qu'en chantant "La Magnífica". Elle croyait reconnaître grâce à des codes secrets les lieux et l'identité des personnages des chansons qui arrivaient de la Province. Les malheurs qu'elle avait imaginés se produisaient tôt ou tard, et elle devinait qui allait arriver de Riohacha coiffé d'un chapeau blanc, ou de Manaure avec une colique qu'on ne pourrait guérir qu'avec du fiel de charognard. Car, prophétesse de métier, elle était aussi une guérisseuse occasionnelle.
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Jusqu'à l'adolescence, la mémoire est tournée vers l'avenir plus que vers le passé, et les souvenirs que j'avais gardés de ce village n'étaient pas encore idéalisés par la nostalgie.
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L'Île au trésor et Le Comte de Monte-Cristo furent une drogue exquise pendant ces années de vaches maigres. Je les dévorais mot à mot, désirant savoir ce qui se passait à la ligne suivante et en même temps ne le désirant pas, afin de ne pas rompre le charme du récit. Grâce à eux comme aux Mille et Une Nuits, je n'ai jamais oublié qu'on ne devait lire que les livres qui nous obligent à les relire.
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... je retournai au collège, obnubilé par l'extravagance géniale de José Manuel Marroquin, un poète de Bogotá qui déchaînait l'auditoire dès cette première strophe :

Maintenant que les aboiements chiennent, maintenant que les chants coquent,
maintenant qu’au lever du jour les grands sons clochent ;
que les braiments ânonnent et les roucoulements oisellent,
que les sifflements gardiennent et les grognons cochonnent,
que la rose aurorée campagne les vastes dorés,
tu perles de liquides verses comme je larme des pleurs
et froidant de frissons bien que l’embrase s’âme,
je viens soupirer des pousses fenêtré à tes dessous.

Bien entendu, je semais le désordre partout où je passais en récitant les interminables strophes de son poème, mais en même temps j’apprenais à déclamer avec le naturel d’un autochtone sorti d’on ne savait où.
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Il y avait des bordels familiaux dont les patrons, avec leurs épouses et leurs enfants, soignaient les habitués selon les règles de la morale chrétienne et les bonnes manières prônées par don Manuel Antonio Carreño. Certains servaient même de caution pour que les apprenties couchent à crédit avec des clients de renom. Martina Alvarado, la plus ancienne de ces belles de nuit, ouvrait une porte furtive à des tarifs de charité aux curés repentis. On ne trichait ni sur la marchandise ni sur les additions, et les chaudes-pisses étaient inconnues.
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Chaque chose sur laquelle se posait mon regard faisait naître en moi l'anxiété irrépressible d'écrire pour ne pas mourir. Ce n'était pas la première fois que cette émotion me gagnait, mais ce jour-là je l'associai au souffle de l'inspiration, ce mot abominable mais si juste qui détruit tout sur son passage pour arriver à ses fins.
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Dans un livre que m'avait prêté un professeur j'avais pu lire cette phrase attribuée à Lénine : ""Si tu n'entres pas en politique, la politique finira par entrer en toi."
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C'étaient des livres mystérieux et les chemins qu'ils empruntaient étaient différents et souvent à l'opposé de tout ce que j'avais lu jusque-là. Nul besoin d'expliquer les faits : il suffisait que l'auteur les ait écrits pour qu'ils soient vrais, sans autre preuve que le pouvoir de son talent et l'autorité de sa voix. C'était de nouveau Shéhérazade, non dans le monde millénaire de ses contes où tout était possible, mais dans un monde irrémédiable où tout était déjà perdu.
En achevant la lecture de La Métamorphose, j'éprouvai un désir irrépressible de vivre dans ce paradis inconnu.

[la lecture de La Métamorphose de Kafka a vivement impressionné Gabriel Garcia Marquez]
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