Robustiano : Fils de Républicain espagnol

Dans le bloc B de Rouhling-cité qu'on appelait le ''bloc des espagnols'' vivaient Monsieur Garcia et sa famille, juste au-dessus de mon grand-père. On entendait souvent les chaises racler le sol, les cris aigus des filles, la grosse voix du père. C'était une famille nombreuse qui comptait cinq enfants, Vito, Lola, Lydia et Jean-Louis, les grands et Rémi le petit dernier qui a mon âge. Je montais souvent chez les Garcia pour jouer avec Rémi et prendre le goûter préparer par Madame Garcia, la gentillesse et la joie de vivre faites femme. Monsieur Garcia, lui, m'impressionnait. C'était un homme jovial, vif et sympathique mais un père de famille aussi, qui savait hausser le ton en cas de débordements. C'était un proche de mon grand-père, ils venaient tous les deux de la Mancha, partageaient les mêmes idées politiques, travaillaient à la mine et rêvaient de l'Espagne. Je savais aussi que Monsieur Garcia avait travaillé très jeune, comme berger, et qu'il était quasiment analphabète parce qu'il avait très peu fréquenté l'école.
Le temps a passé, les enfants ont quitté le foyer, les Garcia ont déménagé vers le rez-de-chaussée du bloc A, fatigués des quatre étages sans ascenseur. Mais on les croisait encore ''au cabanon'', dans les jardins ouvriers. Et, depuis quelques années, Monsieur Garcia se promène seul, on peut le voir au cimetière, sur la tombe de sa femme, dans son jardin qu'il continue de cultiver ou simplement se rendant chez Vito ou Jean-Louis qui ont fait leur vie à Rouhling. Il est désormais le patriarche d'une famille qui ne cesse de s'agrandir, plusieurs fois grand-père et arrière-grand-père.
Et c'est cette famille qui a décidé de se cotiser pour lui offrir le livre de sa vie. Monsieur Garcia s'est confié à Estelle Fernandes, une écrivaine publique, spécialiste des biographies. Il lui a raconté son enfance en Espagne quand, avec sa mère, ses frères et soeurs, ils suivaient son père sur le front républicain durant la guerre civile. Communiste, défenseur de la République, Cirilo Garcia a combattu jusqu'à la fin, avant que, condamné à mort par le régime franquiste, il ne fuit vers la France en catastrophe. Pendant les dix années suivantes, la famille connaît l'humiliation des vaincus. Robustiano devient berger alors qu'il n'est encore qu'un enfant. Ils tentent bien de passer en France mais ils sont dénoncée et devront attendre la loi de regroupement familial pour rejoindre Cirilo, installé à Meyreuil, près de Marseille. C'est le début d'une nouvelle vie dans un nouveau pays. Robustiano commence le travail dans les mines de charbon, puis, quand la Lorraine est en manque de main-d'oeuvre, il vient s'installer à Rouhling avec sa femme Maria, elle aussi fille de républicains espagnols. le rêve de retourner en Espagne un jour est toujours dans leur tête mais ils n'y retourneront que pour les vacances. Leur vie est désormais en France où leurs enfants sont nés et se sont établis.
Un beau travail qu'a réalisé Estelle Ferandes. Derrière les mots, on entend la voix de Monsieur Garcia et son accent chantant. Cette histoire est celle de nombreux autres, à Rouhling et ailleurs. Une histoire de guerre perdue, d'exil et d'enracinement en terre étrangère. Monsieur Garcia est désormais français même s'il reste un espagnol en France, un français en Espagne, un lorrain à Marseille. Il a beaucoup d'amour dans ces pages, pour la République espagnole, pour sa famille et pour la France. Monsieur Garcia est un homme engagé qui est resté fidèle aux idées de son père, qui a des choses à dire sur le monde comme il va. Conscient d'avoir eu sa chance en France, il regarde d'un oeil bienveillant et compatissant les migrants qui, en ce moment, font la une des médias et il sait leurs angoisses, leur formidable pari de se reconstruire dans un pays dont on ne connaît ni la langue, ni le fonctionnement.
Je connaissais Monsieur Garcia, j'ai découvert Robustiano, un homme bon, juste et aimant.