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Critique de GeraldineB


"Trop tard" arrive plus vite qu'on le croit.
Cette petite phrase pleine de sagesse, c'est Mamycha, la grand-mère de Clémence qui la prononce, dans un moment lumineux, un moment où elle a "toute sa tête". Car Mamycha a la maladie d Alzheimer. Il a fallu la placer en ehpad. Et si elle n'a plus sa tête, elle a encore assez de jambes pour s'en échapper. D'autres velléités de fugues? Comptons sur un petit cocktail médicamenteux pour lui ôter l'envie de prendre la poudre d'escampette. 

Pour Clémence, Mamycha incarne la tendresse et la douceur de l'enfance. Comme sa mère travaillait beaucoup et qu'elle n'avait pas de père, Clémence a grandi aux côtés de ses grand-parents. Ces deux-là lui ont tant donné et tant appris. Alors voir sa Mamycha avachie sur une chaise, les yeux noyés de chagrin, cela fait naître chez Clémence une saine colère. Sans rien dire à personne, les deux complices montent alors en voiture et partent en direction de la France, retrouver la maison d'enfance de Mamycha. Mais il y a loin, de la Belgique aux côtes françaises, et bien des péripéties les attendent sur le chemin.

Je lis peu de romans graphiques et c'est le titre, l'histoire, qui m'ont donné l'envie de lire celui-ci. Alzheimer, la maladie de l'oubli, celle qui vous vole votre vie et vous emmène au loin, vers un inconnu hérissé de peurs et d'angoisses. Parfois, comme un coquillage que la mer redéposerait sur le sable, elle vous octroie une pause et vous ramène à vous. Oh, cela ne dure pas. C'est un petit miracle, quelque chose de merveilleux en même temps que douloureux puisque toute conscience est soudain rendue. Alix Garin, s'appuyant très certainement sur son vécu, nous dépeint cette perte de soi avec un grand réalisme, nous livrant les moments de désespoir comme les moments cocasses. Car oui, l 'on peut passer de l'envie de pleurer à un franc éclat de rire au côté de ces malades qui ont une spontanéité et une fantaisie incroyables.
Pleins d'humour, les dessins d'Alix Garin suivent ce constant balancement, entre tragique et comique. Et puis il y a ce moment qui brise tout, celui où pour la première fois, Mamycha lui  lance un "qui êtes vous?"
Alix Garin fait de ce moment cruel un dessin d' une grande force sur lequel je me suis longuement arrêtée. le dessin criait et résonnait de tous ces  "qui êtes vous?" écrits en grosses lettres sur fond rouge. Il était simple et d'une parfaite justesse, exprimant mieux que mille mots la douleur que l'on ressent, celle du reniement. Vous en sortez perdu et brisé, ce "Qui êtes-vous?" ayant la force destructrice d'une grenade à fragmentation.

Alors je suis revenue à la première page et j' ai repris ma lecture en m'attachant davantage aux dessins. Je ne courais plus après l'histoire et j'ai lu très lentement, m'imprégnant de chaque détail. D'abord les couleurs, très douces, des roses, des mauves et du bleu myosotis, les couleurs que les vieilles dames aiment tant. 
Ensuite le trait, simple, épuré, allant à l'essentiel mais sans jamais négliger les expressions, donnant aux visages une vie telle qu'on les imaginerait surgir du papier et s'animer. Et puis ces planches en gris pour dire la nostalgie et les regrets.
Tout ici est pensé et dessiné avec soin et délicatesse, un peu comme on prépare un cadeau. Et ce roman graphique en est un, à n'en pas douter, puisqu'il est dédicacé à son grand-père et à sa Mamycha. 

Mais au-delà de cette échappée belle,  "Ne m'oublie pas" est aussi une histoire de filiation, de cette relation mère-fille  laissée à l'abandon, la parole gelée, le geste devenu rare, et qui pourtant ne demande qu'à revivre avant qu'il ne soit "trop tard".
Et puis, tout en pudeur, l'évocation de la découverte par Clémence de son homosexualité, la souffrance de se sentir rejetée par les filles parce qu'on a l'air d'un garçon et rejetée par les garçons parce qu'on est une fille. Les femmes qui nous entourent nous aident à nous construire. Elles montrent les chemins, ceux qu'il faut prendre et ceux qu'il faut fuir. Elles voudraient tellement que l'on souffre moins qu'elles. Y parviennent-elles? En partant, elles laissent, malgré tout, une empreinte d'amour.

Tendre, drôle, émouvant, "Ne m'oublie pas" est un livre qui appelle à le relire, petit grain de lumière contre les jours sombres. Alors j'y reviendrai et j'irai butiner ces myosotis que ma mère appelait si joliment "fleurs de Marie". 




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