Citations sur Oeuvres complétes : Marc Antoine - Hippolyte (10)
Allons mon cher Lucile : hé pourquoi plorez-vous ?
Cette fatalité commune est à nous tous,
Nous devons tous mourir : chacun doit un hommage
Au Dieu, qui les Enfers eut jadis en partage.
Apaisez vostre ennuy, las ! et ne gemissez,
Car par vostre douleur mon mal vous aigrissez.
Les guerres et leur suitte amere
Font icy de long temps sejour,
Et la crainte de l'adversaire
Augmente en nos coeurs nuict et jour.
Nostre malheur toujours empire :
Moindre estoit hier notre ennuy
Qu'ores, et demain sera pire
Que n'est encores ce jourdhuy.
Je sçay bien que mes cris Proserpine n'écoute,
Que les Enfers sont sourds, et que Pluton n'oit goutte,
Et qu'inutilement en pleurs je me noyrois,
Si pour les esmouvoir sur Pompé je pleurois :
Pompé ne reviendra de la palle demeure,
Revoqué par mes pleurs, et c'est pourquoy je pleure :
Je pleure inconsolable, ayant un bien perdu,
Hélas, qui ne pourra m'estre jamais rendu.
Or soit que son amour ou soit faulse, ou soit vraye,
Elle a faict en mon ame une incurable playe :
Je l'aime, ainçois je brusle au feu de son amour,
J'ay son idole faux en l'esprit nuict et jour,
Je ne songe qu'en elle, et tousjours je travaille,
Sans cesse remordu d'une ardente tenaille.
Il ne se trouve rien de durable en ce monde.
Toujours sera trompé qui son espoir y fonde.
Les tenebres plus obstinees
Ne joignent la pesante nuict,
La clairté dorant les journees
De plus pres le Soleil ne suit,
Et ne suit plus opiniatre
L'ombre legere un corps mouvant
Quel le malheur pour nous abatre
Sans cesse nous va poursuivant.
Toy seule, Cleopatre, as triofé de moy,
Toy seule as ma franchise asservy sous ta loy,
Toy seule m'as vaincu, m'as domté, non de force,
(On ne me force point) mais par la douce amorce
Des graces de tes yeux, qui gaignerent si bien
Dessur ma liberté, qu'il ne m'en resta rien.
Nul autre desormais, que toy, ma chere Roine,
Ne se glorifiera de commander Antoine.
Puisque le ciel cruel encontre moy s'obstine,
Puisque tous les malheurs de la ronde machine
Conspirent contre moy : que les hommes, les Dieux,
L'air, la terre, et la mer me sont injurieux,
Et que ma Royne mesme en qui je soulois vivre,
Idole de mon coeur, s'est mise à me poursuivre,
Il me convient mourir.
O malheureuse femme ! ô femme à tous funeste,
Pire qu'une Megere, et pire qu'une peste !
En quel antre infernal iras-tu désormais
Du monde t'escarter, pour n'y nuire jamais ?
Nos Citez languissent desertes,
Les plaines au lieu des moissons
Arment leurs espaules couvertes
De larges espineux buissons.
La mort en nos terres habite,
Et si l'alme Paix ne descend
Dessur nous, peuple perissant,
La race Latine est destruite.