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Critique de Piatka


Que s'est-il passé en 1966 quand Romain Gary est allé avec Jean Seberg à Varsovie pour pondre un bouquin pareil, délirant, sans limite, voire politiquement incorrect ?
Un choc ? Une prise de conscience ?

C'est la question que je me pose depuis que j'ai refermé ce roman. Certes, j'y ai retrouvé la patte de Gary, son humour caustique, son style alerte, son sens incroyable de la formule littéraire qui fait mouche, mais ici, tout est poussé à l'extrême, à l'excès, comme si l'auteur voulait en définitive bouleverser, bringuebaler son lecteur, le choquer aussi et bien sûr comme toujours le pousser à réfléchir.

Bingo monsieur Gary, mais était-il vraiment nécessaire de délirer autant ? Car enfin, vous vous êtes totalement lâché. Un modèle de déconstruction cette danse de Gengis Cohn, ça swingue à tous les chapitres. du coup, ce livre n'est pas un de vos grands succès et c'est dommage, le message y est incroyablement fort mais il faut suivre. Et puis, votre double, Émile Ajar, n'est pas encore né ( en 1974 ). Ceci dit, ici, il vous chatouille la plume.
Soyons clairs : Impossible de vous découvrir avec cette oeuvre. À mon avis, il faut déjà vous apprécier pour savourer votre coup de gueule contre la bêtise humaine, l'impuissance de l'humanité à vivre en paix, appréhender pleinement votre réflexion sur la Shoah. C'est pour moi la limite de cette danse.

Brièvement le contexte :
Gengis Cohn, comique juif prisonnier à Auschwitz, est fusillé en 1944 par un détachement de SS commandé par Schatz ( trésor en allemand ! ) à la suite d'une tentative d'évasion. Depuis 22 ans, il hante " son hôte " devenu commissaire de police de première classe à Licht ( lumière en allemand ) au point de lui faire perdre quasiment la raison. Il faut dire qu'il est omniprésent, obsédant, ne lui laisse aucun répit - le remords incarné. Un SS dénazifié, mais irrémédiablement enjuivé. du pain béni pour l'humour de Gary...
Le commissaire surmené doit faire face à une vague de crimes insolites et sans précédent : 22 cadavres en 8 jours, trouvés avec un visage radieux et tous déculottés...dans la forêt de Geist ( esprit, inconscient en allemand )
Aucun motif, pas l'ombre d'une preuve.
Ajoutez au tableau un baron influent qui vient déclarer la disparition de sa femme Lily et de son garde-chasse Florian.

La première partie intitulée " le dibbuck " suit une trame narrative assez classique finalement, sur un ton enjoué malgré un contexte grave, le lecteur découvre les protagonistes. On sourit, on est ému par ce dibbuk, Gengis Cohn, aux prises avec son ancien tortionnaire Schatz, et vice-versa. Un couple lié historiquement par la honte et la culpabilité, procédé très original pour évoquer l'après-guerre immergé dans la société civile.
Au fait, qu'est-ce qu'un dibbuk ? Gary en donne lui-même la signification : " Un mauvais esprit, un démon qui vous saisit, qui s'installe en vous, et se met à régner en maître. Pour le chasser, il faut des prières. " et il ajoute, corrosif : " C'est bien la première fois dans l'histoire de la pensée et de la religion qu'un pur aryen, un ancien SS est habité par un dibbuk juif. "

La deuxième partie, " Dans la forêt de Geist ", signe vraiment le départ du délire garyen - âmes sensibles et conformistes s'abstenir. GARY manipule ses personnages et son lecteur, en les entraînant dans une cavalcade historico-philosophique, centrée ici sur le couple formé par Lily et Florian, allégories de la vie et de la mort. Même si j'ai dû revenir en arrière à plusieurs reprises, j'ai finalement plutôt apprécié leurs tribulations. L'histoire part presque dans trop de directions, mais c'est diablement ingénieux, dérangeant et original, très politiquement incorrect aussi. Je me suis vraiment demandé si un inconnu pourrait publier aujourd'hui un tel bouquin sans encourir les reproches d'historiens, d'hommes d'église...
Mais ne comptez pas sur moi pour vous dévoiler ce qui se passe dans cette forêt. Un peu de suspens tout de même.


La danse de Gengis Cohn : le fruit d'une exaspération peut-être, d'une révolte sûrement, d'une urgence à témoigner à sa façon de ce qu'il a éprouvé en visitant le ghetto, hors des sentiers officiels de l'histoire, en témoigne cette vision reprise plusieurs fois dans le roman de cette main d'un juif sortant d'une bouche d'égout.
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