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Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


A 80 ans, Lady L. est une très digne et très respectable grande dame de la meilleure aristocratie anglaise. Experte ès mondanités et bienséance, son honorabilité n'a jamais été prise en défaut, et par ailleurs la Couronne britannique lui doit une fière chandelle, celle d'avoir mis au monde quatre fils promis à un illustre avenir dans les hautes sphères du pouvoir très conservateur de Sa Majesté : un ministre, un évêque, un haut-gradé de l'armée et un grand banquier. Ces services rendus à la patrie valent bien qu'on tolère les petites extravagances et la propension à la moquerie de Lady L., épouse de feu le richissime Duc de Glendale.
Mais le jour de ses 80 ans, Lady L., vaguement irritée par le bourdonnement dans lequel s'agite vainement son abondante descendance réunie autour d'elle, s'isole dans un petit pavillon au bout de son domaine avec Sir Percy, son chevalier servant et amoureux transi depuis 40 ans, et lui raconte l'histoire de sa jeunesse. Une jeunesse qu'elle a passé sa vie à cacher, tant elle fut aux antipodes de l'image que Lady L. s'est acharnée à construire depuis plus de 50 ans. Les apparences sont décidément bien trompeuses, car il faut reconnaître qu'il est difficile d'imaginer (demandez donc à Sir Percy, qui n'a pas fini d'en avaler son thé de travers) que l'auguste vieille dame est en réalité née dans un caniveau parisien, sous le nom on ne peut plus commun d'Annette Boudin, qu'elle s'est entichée très jeune d'Armand Denis, beau et ténébreux anarchiste terroriste, qu'elle est devenue sa complice dans la préparation d'attentats en s'infiltrant dans les milieux aristocratiques. Ce qui causa en quelque sorte sa perte pour la cause, puisque à force de les fréquenter, elle apprécia de plus en plus les avantages de la vie de luxe et de culture, et la compagnie du Duc de Glendale.

Quel roman jubilatoire et exquisément amoral, et quel portrait de femme ! Une femme intelligente, volontaire, ironique, cynique, aussi amoureuse de son bel Armand que terriblement lucide sur les sentiments de celui-ci, déterminée à vivre la vie qu'elle avait choisie quitte à se cacher sous un masque pour le reste de son existence et à s'asseoir allègrement sur la morale. Et un brin sadique : il faut l'imaginer, malicieuse, raconter son histoire au fade et coincé Sir Percy, sans lui épargner aucun détail croustillant : on visualise parfaitement celui-ci incrédule puis réprobateur, offusqué, choqué, scandalisé, de plus en plus bouillonnant de colère.

Ce roman est aussi une plongée dans le milieu anarchiste au tournant du 20ème siècle, que Romain Gary ne se prive pas de critiquer, en s'interrogeant sur le radicalisme de certains libertaires fanatiques et sur le bien-fondé du recours à la violence contre des civils au nom d'un idéal de liberté auquel, paradoxalement, ils s'asservissent complètement. Gary n'est pas plus tendre avec l'aristocratie victorienne et son puritanisme.
C'est romanesque et vaudevillesque, intelligent, fin et profond, ironique et cynique, mais tendre aussi. Et avec cet hommage au subjonctif imparfait, c'est irrésistible.

« Ah ! Fallait-il que je vous visse,
Fallait-il que vous me plussiez,
Qu'ingénument je vous le disse,
Que fièrement vous vous tussiez.

Fallait-il que je vous aimasse,
Que vous me désespérassiez,
Et que je vous idolâtrasse,
Pour que vous m'assassinassiez…. »
Lien : https://voyagesaufildespages..
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