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Critique de meeva


Il y a quelques années, j'ai voyagé au bord de la méditerranée, en Espagne.

Dans une région aride, putain !
Pas un coin d'ombre sur la plage, l'odeur du bitume dans les rues les plus anciennes et de la poussière dans les nouvelles rues.


Une nourriture rare !
D'ailleurs, on évitait la plupart du temps le repas du midi en se levant au minimum à 14h - mais quand même pas après 16h pour pouvoir profiter des merveilles locales, parfois inattendues, comme le petit prince échoué là sur un muret à regarder la mer et le renard un peu plus loin à regarder le petit prince.


Une vie difficile !
Comme presque personne n'était en âge d'avoir une voiture, il fallait parcourir des kilomètres à pied pour aller à la rencontre d'autres gens au Gato Negro ou au Choke, les deux boîtes de la ville.

Et si on voulait aller à la rencontre d'autres peuplades, alors il fallait s'entasser à sept ou huit dans une Diane (vous savez cette voiture avec le levier de vitesse sur le tableau de bord).


J'ai rencontré des gens échoués là par hasard qui en cachaient des tas de trésors :

François le Perpignanais, toujours prêt, lui, à nous emmener dans sa voiture (les filles seulement parce que selon lui ça évitait des contrôles trop poussés de la Guardia Civil ; il fallait sourire à ces jeunes militaires, pour éviter qu'il ne fouillent trop la voiture).
Bon lui cachait de la beuh.

Christophe le Marseillais et son haut sens de l'hospitalité toujours prêt à nous faire assoir devant la tente et nous offrir la boisson locale (du ricard donc) à toute heure de la journée.
Bon lui cachait sa timidité derrière son accent marseillais.

Hervé de Pfaffenheim (c'est en France, hein !), toujours prêt à me reconduire chez moi, pour être sûr qu'il ne m'arrive rien, jusque dans l'entrée (ah merde, c'est un studio, on tombe directement sur le lit…).
Bon lui cachait des capotes dans sa poche.


Mais à l'intérieur de tous ces gens (il y en avait bien d'autres) se cachait aussi une merveille : une solidarité complètement éphémère et infondée, grâce à laquelle pas une seule fois l'un de nous n'a été laissé tout seul par le groupe - même à vomir ses tripes, les autres attendaient de pouvoir le ramener…



Ici il s'agit d'une toute autre sorte de tourisme.

Romain Gary nous emmène en voyage.
Voyage autour de la mer Rouge, Djibouti, Somalie, Yémen…
Voyage dans le temps.
Voyage dans le temps pour nous qui le lisons maintenant.
Mais voyage dans le temps aussi à l'époque de l'écriture, en 1971.

Le temps qui ne s'écoule pas de la même manière là-bas, dans cette région où la douceur se mêle à l'aridité, le noir se mêle à la lumière, la beauté se mêle au dépouillement.


C'est une région hostile pour les hommes, dans laquelle Romain Gary part à la rencontre de « trésors immatériels et éphémères ».


Il dénonce au travers de ses rencontres le mal fait aux femmes, qui pour lui personnifient l'humanité.

Les Somaliennes sont les plus belles femmes du monde mais sont victimes de l'infibulation qui consiste, à sept ans, après avoir coupé le clitoris, à coudre les lèvres pour garantir la primeur de la vierge offerte au mari.
Pour la nuit de noces, le chemin sera « ouvert » par les commères du village d'un coup de couteau.

Ce qui explique, puisque la vertu des Somaliennes est si bien gardée, que les prostituées soient importées d'Abyssinie.

Il rencontre une de ces prostituées pour l'interroger (ben tiens !) car il veut savoir ce qu'est sa vie de « tout-à-l'égout ».
Il reste « coi, saisi de stupeur » en découvrant une femme que les militaires ont « tatouée » à leurs noms sur les seins, au-dessus du sexe et, dans le dos, de commentaires dans le genre « mode d'emploi ».

« Ce n'est plus la peine de l'interroger : j'ai eu toutes les réponses. Strauss, Bianchi, Kriloff, je sais maintenant comment, de quelle haine de soi-même sont nés le nazisme et Auschwitz… »



Il rencontre aussi toutes sortes de personnages, souvent des illuminés :

Rencontre avec le proconsul de France Ponchardier qui combat la sous-alimentation et la tuberculose.

Rencontre avec le médecin Gossard qui lutte contre les maladies dont il faut d'abord convaincre les populations locales de l'existence car pour eux, souffrir est normal.

Rencontre avec un instituteur qui est là aux yeux de certains pour « ne pas faire son service militaire » mais qui donne son argent, sa santé pour convaincre les familles de laisser leurs enfants venir apprendre.

Rencontre avec un ex-capitaine, Machonnard, privé de grade pour son action dans l'OAS et qui est devenu fou, ou qui se complait dans la folie.

Rencontre avec un de ceux « qu'on […] ramasse par milliers à demi morts au Népal, au pied du Kilimandjaro, sur les bords du Gange… La retombée humaine d'une explosion de désespoir que la pression matérialiste a provoquée ».

Bien d'autres encore…

Rencontre avec lui-même lorsqu'il attend plusieurs jours au bord d'une route le retour du sergent qui détient ses papiers.

Rencontre avec une petite fille qui possède le plus beau visage de la Bible…



Dans ces récits, qui avaient la vocation d'être publiés sous forme de reportages dans une revue, Romain Gary nous livre une plume empreinte de poésie, certainement parce qu'il se laisse bercer par ses sensations afin de mieux appréhender le fond des êtres.

Sans oublier d'y mettre un peu de son humour juif, cynique et cinglant :
« Tu vas là-dedans, tu éternues, ça fait une épidémie et dix gosses morts… »

Et au travers de ces réflexions, il cherche une fois de plus à rencontrer l'âme humaine, dans son sens premier, celui qui ne touchait pas à l'au-delà.



Et je poursuis ma route en chanson :

« Il y a sûrement des pays qui valent le coup
Il a sûrement des routes qui mènent un peu partout
Il y a sûrement des enfants rebondissant sur le ventre des éléphants
Il y a sûrement des moutons que l'on compte à reculons

Il y a sûrement des pays qui valent le coup
Des océans pour serrer la pince aux crabes géants
Il y a sûrement des pandas pour ne dépendre de rien
Et des pourquoi pas qui durent jusqu'à demain
Il y a sûrement des serpents charmeurs à qui faire confiance
Militants pour l'abolition de la souffrance
Et des lions qui ronronnent en canon
[…]
Petit à petit mon appétit grandit
De découvrir la vie »

(« Dehors », extrait de l'album éponyme de Mano Solo)

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