Quand arriva le couplet sur l'herbe à bouquetin, Gaspard mit beaucoup de conviction à vanter les mérites de cette médication et à exalter son effet aphrodisiaque. L'exposé ne laissa pas indifférent le représentant de l'ordre(1)
(1 :un sergent de ville)
Toits de chalets, de granges ou de greniers étaient raccommodés, ravaudés mille fois, avant que la mort dans l'âme, on se décide à écorner son capital de forêt afin de ressusciter une toiture agonisante.
Quelques-uns possédaient assez d'ambition et de confiance en eux-mêmes pour qu'une simple pichenette du destin ait suffi à les précipiter sur les grands chemins. Beaucoup d'autres s'étaient simplement résignés à fuir les caresses répétées de Dame Misère.
Gaspard décida d'une pause. Levant les yeux, il découvrit la masse du glacier de Miage. Cette fois il en était certain, le glacier avait grossi depuis la dernière fois où il l'avait approché, voilà quatre ou cinq années. Il gardait le souvenir très précis d'une cascade qui jaillissait dans un bruit d'enfer du ventre du monstre. Il n'y avait plus de cascade, un désordre de lames grises l'avait avalée et réduite au silence. Gaspard cherchait se qui pouvait bien faire grossir et avancer cet ogre. Quelle force maléfique le nourrissait si bien ? Ce glacier serait-il bientôt assez sûr de sa force pour avaler les alpages de Miage ?
La peur, comme une marée, avait reflué dans un recoin profond de son corps, redonnant lentement à ses mouvements une aisance qui lui permettait d'apprivoiser peu à peu ce monde minéral dont il n'avait perçu jusque-là que l'hostilité. Parfois le glacier éructait comme pour faire savoir qu'il était toujours là. Une pierre se détachait pour plonger dans une crevasse, des craquements difficiles à localiser rayaient la nappe de silence. Instinctivement alors, Jean-Baptiste oubliait sa cueillette. D'un bond il se redressait et se signait, comme prêt à se voir happé par un être démoniaque surgissant d'une crevasse.
A son arrivée au Plan de la Joie, Jean-Baptiste s'était longuement demandé à qui pouvaient bien être destinées ces provisions d'ancelles qui caparaçonnaient de tous côtés les parois de la maison au point de lui donner un air bouffi.
Le croquant était si peu disert qu'on aurait pu croire qu'il avait scrupule à dépenser le maigre capital de mots que lui avait octroyé le Bon Dieu le jour où il l'avait envoyé sur terre ; mais on pouvait le suivre les yeux fermés tant il faisait montre d'une connaissance animale de la région.
La vision de ce corps bientôt mutilé par les renards et les corbeaux taraudait son esprit. Mais que faire ? Plus il avançait dans son voyage vers les Allemagnes, plus il découvrait avec frayeur que les comportements et les démarches de ceux qu'il côtoyait, répondaient à un code de valeurs étranger à celui qui régissait la vie de tous les jours dans sa paroisse.
Jean-Baptiste s'était assis sur un "murger", un de ces amoncellements de cailloux où, depuis la nuit des temps, chaque printemps, on entassait les pierres dont quelques mauvais génies à la solde du Malin s'étaient plu à parsemer les prés à l'entour pendant l'hiver.
Nous avons vidé quelques flacons parce que j'aime le commerce des hommes et que je n'ai pas le coeur serré comme un cul de poule.