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Critique de Korax


Korax
03 novembre 2022
Puisque notre pays traverse une période difficile où les manifestations sont propices à la violence et que cette violence est non seulement admise par beaucoup mais même justifiée, il est intéressant de se pencher sur les écrits qui tentent d'apporter une légitimation éthique et politique à la violence en question. En furetant un peu dans la littérature relative à ce sujet, un nom ressort fréquemment, celui de Peter Gelderloos, dont le principal ouvrage paraît être : « Comment la non-violence protège l'État ». Pour qui serait enclin à soutenir les débordements de violences et cherche une base théorique à ce soutien ou pour qui s'interroge, avec davantage de distance, sur les raisons susceptibles de justifier de telles violences – c'est plutôt ma disposition d'esprit –, ce livre a priori devrait se révéler tout à fait précieux.
Pourtant, autant le dire d'emblée : le propos de Gelderloos est très loin d'emporter la conviction. Passons vite sur la forme. L'« exposé brillant » annoncé en quatrième de couverture n'est pas au rendez-vous. le texte est plutôt fastidieux, avec des répétitions à n'en plus finir. Grosso modo, tout tourne autour d'une seule idée : en regard de certains combats politiques et sociaux, l'action non-violente est vouée à l'échec et fait le jeu du pouvoir en place ; et cette idée est reprise à foison en faisant varier les exemples pour l'illustrer.
Voilà pour la forme. le fond n'est pas plus convaincant ; bien au contraire. La thèse de l'inanité de la non-violence et corollairement celle de la nécessite de la violence au coeur de l'action est loin d'être servie par un appareil argumentatif suffisant. Plusieurs problèmes majeurs fragilisent en réalité le développement de l'auteur.
1) Lorsque Gelderloos examine un certain nombre de cas pour lesquels la violence s'est avérée utile, il mélange quantité de situations qui n'ont strictement rien à voir. Il traite ainsi dans un même ensemble de la résistance au nazisme, des luttes anticoloniales… et de l'attitude à observer dans les manifs anticapitalistes. Comme si ces sujets avaient à voir les uns les autres ; comme si la légitimité (et pour cause !) de la résistance armée des Juifs face à l'oppresseur nazie nous éclairait de quelque manière que ce soit sur l'attitude à observer pendant une manifestation du 1er mai !
2) Jamais l'auteur n'analyse le lien précis entre la décision de violence et la cause à défendre. Quand un résistant juif prend pour cible un SS qui investit – par exemple – un ghetto à liquider, clairement il défend sa peau. C'est sa vie qui en jeu. On sait d'ailleurs ce qu'il est advenu dans la très grande majorité des cas… Quand dans une manif, disons « contre le système existant » des dizaines de boutiques sont saccagées, du mobilier urbain incendié, des flics caillassés, le lien entre cette production de violence et la cause défendue est beaucoup moins évident ; et donc beaucoup moins légitime. de la même manière, si l'enjeu fondamental est d'instaurer des systèmes économiques alternatifs, on ne voit pas bien pourquoi l'étape de la violence intermédiaire serait nécessaire : sans même parler du recours démocratique à l'élection – évidemment honnie par nos ultras de tout poil –, l'essor de tels systèmes alternatifs sur des bases communautaires autocentrées paraît constituer une réponse plus logique et plus juste.
3) Dans le même ordre d'idée, on ne sait pas non plus si l'auteur envisage une gradation de la violence. Jusqu'où peut-on aller face à tel ou tel problème social ou sociétal ? Cela pourrait s'apparenter à de la casuistique, mais c'est indispensable pour juger de la pertinence et de la valeur éthique de l'action violente proposée : casser, et quoi casser, s'attaquer aux individus, jusqu'à quel point, tuer, etc. C'est aussi ce manque qui fait dire que les rapprochements évoqués en 1 sont trop faciles.
4) Et puis le livre est farci de raccourcis d'analyses et d'anathèmes qui laissent pantois. Par exemple : « La non-violence est raciste » (titre d'un chapitre) ; « Ceux qui renoncent à leur humanité (sic !) en intégrant les forces de l'ordre doivent être combattus par tous les moyens nécessaires » (p. 205) ; ou alors, parlant de la situation de l'Espagne, en 2004, revenue sur sa décision d'engagement en Irak derrière les États-Unis : « Tandis que des millions de pacifistes, en défilant dans la rue comme des moutons, n'avaient pas affaibli d'un iota l'occupation brutale de l'Irak, quelques douzaines de terroristes prêts à massacrer des non-combattants provoquèrent le retrait de plus d'un millier de soldats » (p. 57). Les victimes du terrorisme apprécieront…
Bref, si dans le feu de l'action, vous vous laissez tenter par la violence, ne comptez pas sur la pensée de Gelderloos pour vous offrir le socle de légitimité qui vous aidera à justifier une telle tentation. Sauf à faire fi de toute lucidité.
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