Fig. 1 - Cet outil provient d'installations néandertaliennes des alentours de -55 000 à la Grotte Mandrin, dans la vallée du Rhône. Les transformations artisanales ne concernent que le flanc gauche de l'objet, mais ces modifications de la forme du support sont précisément positionnées de telle sorte qu'elles imitent en miroir le tranchant opposé, droit, qui est conservé dans sa morphologie naturelle sans aucune modification artisanale. Ce jeu intégrant les formes naturelles de la matière et y répondant permet ici d'obtenir une pièce présentant équilibre et symétrie axiale remarquables. Le projet de l'artisan, dans la construction de son objet, ne s'impose pas à la matière. Il l'épouse, il s'y adapte et la volonté de l'artisan entre en résonance avec des morphologies naturellement observées dans la matière préalablement à ses gestes. Le résultat est un outil d'une superbe symétrie, et surtout d'une grande pureté de lignes. C'est aussi un objet unique, non reproductible. Ces jeux d'équilibre qui produisent des objets uniques et d'une grande harmonie de formes, laquelle ne s'impose pas frontalement aux matières mais « dialogue» avec elles sont des classiques chez Néandertal.
Durant le Paléolithique moyen, Néandertal est I'humain qui a fait preuve de la plus grande diversité de gestes envers certains de ses morts (23 gisements concernés à l'échelle de l'Eurasie occidentale) alors que nous ne connaissons que très peu les pratiques funéraires de ses contemporains (5 gisements à l'échelle de l'Ancien Monde). Mais la dualité des considérations sur de tels comportements chez Néandertal, relativement à ceux des humains modernes, est similaire à celle concernant leur statut taxinomique. Certains refusent toujours aux Néandertaliens la capacité d'avoir inhumé leurs morts.
Profitant tout à la fois de découvertes archéologiques continuelles, d’avancées technico-scientifiques constantes, mais également d’une épistémologie critique toujours plus riche, les études préhistoriques, telles qu’elles se pratiquent en notre xxie siècle, n’ont cessé de repousser leurs frontières, toutes leurs frontières, qu’elles soient internes ou externes. Loin d’être des bornes ou des barrières, les frontières de la « préhistoire » s’ouvrent, devenant désormais des lieux de passage et d’influences. Des lieux dynamiques où le savoir se crée, s’énonce et se partage ; des lieux en lesquels des champs d’investigation, toujours plus riches, s’entrecroisent et s’étendent.