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Critique de Henri-l-oiseleur


Genet tend des pièges à son lecteur, et ils sont tellement variés qu'on ne peut espérer les éviter tous. L'un d'eux en tous cas est visible : croire que le roman est un "plaidoyer pour la tolérance" par le seul fait que ses héros sont des malfrats homosexuels, ou plutôt, des malfrats qui ont des pratiques homosexuelles. Rien n'est plus éloigné de la pensée, du style et de la sensibilité de Genet que de réclamer la tolérance ou de plaider pour elle, de quémander l'acceptation, l'intégration. Au contraire, Genet lui-même, comme ses héros, vivent, se nourrissent, de l'intolérance et de l'opprobre, qui donnent à leur vie tout l'éclat romantique de la révolte, du Mal, tels que les Romantiques les ont exaltés en la figure de Satan, de sa beauté. La tolérance contemporaine est totalement contraire à la mythologie de Genet, comme l'avait bien vu Pasolini jugeant la révolution des moeurs de 68. On ne comprend pas Genet en lisant ses livres comme des plaidoyers pour la tolérance. On a déjà Voltaire pour cela, ce philosophe des bourgeois qui ont une âme.

Querelle, pas plus que Gil, Norbert et les autres, n'est pas homosexuel. Les homosexuels, il les tue et les dépouille (comme l'Arménien de Beyrouth), au mieux il les méprise et les manipule (comme le lyrique lieutenant Seblon, amoureux de lui). C'est justement le danger que représente Querelle, ce fauve, sa ruse, son amoralité absolue, qui lui donnent aux yeux de ses victimes tout son charme et toute sa puissance séductrice. Les victimes, elles, "sont" des homosexuels, à savoir des victimes consentantes, extasiées, des sévices qu'on leur inflige. Querelle, malgré ses pratiques sexuelles (sur lesquelles Genet est assez discret - ne caviarde-t-il pas les deux scènes les plus torrides ? -), "a" des relations avec des hommes, sans jamais s'imaginer qu'il "est" homosexuel. Tout au plus cherche-t-il à savoir s'il a changé d'être et de nature, s'il est devenu "un enculé", la première fois. Drôle d'avocat "gay" plaidant pour la tolérance...

La lecture du roman est d'autant plus difficile que son style, sa manière, se rapprochent d'auteurs comme Proust ou Bernanos : le fil de la narration est ténu, irrégulier et parfois non-chronologique, les pensées des personnages et la présence du narrateur poète et analyste, envahissent tout. Mais Proust (j'ai beaucoup pensé à lui en lisant "Querelle"), s'il donne aussi le pas sur les pensées, commentaires, sensations, rêveries, sur le récit, le fait d'une manière toujours ironique et décalée. Genet, jamais : le poème lyrique se déploie tout à son aise dans tout son sérieux, mais quand surgissent parole et événements - toujours pauvres, misérables, plats - ce n'est jamais pour produire un contrepoint ironique. Il s'agit toujours, très sérieusement, d'envelopper l'abjection dans des voiles splendides qui ne la cachent pas, mais la mettent en valeur.

Quant à Bernanos, dont la manière est assez proche (pauvreté poignante du monde "réel", splendeur d'une poésie en prose élaborée), lui aussi, comme Genet, s'attache à faire voir la profondeur mystique de la plus décevante réalité : le réalisme n'est que l'écorce du mythe et du rêve (ou de la foi) qui palpitent dessous. Cela se voit bien dans "L'imposture".

Genet ne cache pas la réalité abjecte de ses pauvres héros (pauvres hères) au moyen du lyrisme : il ne serait alors qu'un romancier kitsch plaidant pour la tolérance. Il fait voir dans son poème en prose que ces pauvres hères dangereux sont vraiment des héros admirables, en raison même de leur pauvreté et de leur abjection. Non malgré elles, car on tomberait dans Zola et sa moraline.

Ce romantisme du Mal est devenu presque incompréhensible dans notre monde de prêcheurs et de professeurs de morale. C'est ce qui ternit un peu le plaisir du lecteur, pris sans cesse à rebrousse-poil de ses habitudes et de ses préjugés.
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