Citations sur Querelle de Brest (13)
Ces humeurs bouleversantes, le sang, le sperme et les larmes.
...cette haine dirigée contre lui mordait son marbre et sculptait sa beauté.
- Heureusement, qu'il y a les vicieux, Mesdemoiselles , ça permet aux mal foutus de connaître l'amour.
Elle était bonne.
Ces pensées (non à l'état définitif où nous les rapportons, mais dans leur informe moutonnement), rapides, se chevauchant, se détruisant, l'une pour renaître grâce à l'autre, déferlaient en lui, et dans les membres et le corps de Querelle plutôt que dans sa tête. Il marchait sur le chemin, soulevé, bousculé par cette houle de pensées informes, jamais retenues mais qui laissaient d'elles, au passage, un sentiment pénible d'inconfort, d'insécurité et de peur. Querelle ne quittait pas son sourire qui le retenait au sol.
p. 161
Pendant quelques heures il (le policier Mario) devait être celui qui doit découvrir la faille des hommes, leur péché, la légère indication pouvant, le plus sûrement possible, conduire l'homme le plus insoupçonnable, au châtiment le plus terrible. Métier sublime qu'il serait fou de rabaisser à la pratique d'écouter aux portes, ou regarder par le trou des serrures. Mario n'éprouvait aucune curiosité à l'égard des gens, ni ne désirait commettre d'indiscrétion, mais ayant enfin décelé ce léger indice du mal, il devait procéder un peu comme l'enfant avec la mousse de savon : de l'extrémité d'une paille choisir le fragile élément capable d'être travaillé jusqu'à devenir une bulle irisée. Mario connaissait alors un sentiment d'exquise allégresse quand il allait de découverte en découverte, quand il sentait, comme de son propre souffle, le crime se gonfler, se gonfler encore,, enfin se détacher de lui et monter seul dans le ciel.
p. 247
- "Gil, Gilbert Turko, c'est moi, et suis tout seul. Pour être un vrai Gilbert Turko, il faut que je soye tout seul, et pour être tout seul je dois être tout seul. Ça veut dire abandonné. Merde ! Les vieux, i'me font chier! Qu'est-ce que j'en ai à foutre, de mes vieux ? C'étaient des salauds ! Mon dab, il a déchargé dans la grosse conasse de ma mère et moi je suis sorti neuf mois après. Qu'est-ce que j'en ai à foutre. Je suis sorti d'une giclée de foutre qu'a pas réussi. Mes vieux je les emmerde, c'est des emmanchés."
Cette sensibilité très voilée à l'égard, non de la beauté formelle, définitive, mais de l'indication fulgurante d'une manifestation sans autre nom que la poésie, le rendit certains jours pendant quelques secondes perplexe : un docker eut un tel sourire en dérobant presque devant lui du thé dans les entrepôts, que Mario faillit passer sans rien dire, il connut une légère hésitation, une sorte de regret d'être le policier et non le voleur. Cette hésitation dura peu. A peine avait-il fait un pas pour s'éloigner que la monstruosité lui apparut de son attitude. L'ordre qu'il servait devenait irréparablement bouleversé. Une brèche énorme existait. Et l'on peut dire qu'il n'arrêta le voleur que par un souci esthétique. Tout d'abord sa hargne habituelle fut mise en échec par la grâce du docker mais quand Mario eut conscience de cette résistance, et de ce qui la provoquait, on peut dire encore que c'est par haine de sa beauté qu'il arrêta définitivement le voleur.
p. 58
Aucun acte n'étant parfait dans ce sens qu'un alibi peut nous en rendre irresponsables, comme lorsqu'il commettait un vol, à chaque crime Querelle apercevait un détail qui, à ses yeux seuls, devenait une erreur capable de le perdre. De vivre au milieu de ses erreurs lui donnait encore une impression de légèreté, d'instabilité cruelle, car il semblait voleter de roseau ployant en roseau ployant.
p. 70.
A la société la police est ce qu'est le rêve à l'activité quotidienne : ce qu'elle s'interdit à soi-même, dès qu'elle le peut, la société polie autorise la police à l'évoquer. De là vient peut-être le sentiment de dégoût et d'attirance mêlés qu'on a à son égard. Chargée de drainer les rêves, la police les retient dans ses filtres. Ainsi expliquerons-nous que les policiers ressemblent tant à ceux qu'ils chassent.
p.81
Il existe une chambre secrète, fermée d'une porte blindée. Elle contient, avec quelques pauvres chiens en cage, quelques monstres dont le plus émouvant est celui qui demeure au centre de la chambre, il est notre intime reproche.