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Critique de Polars_urbains


Que vous vous intéressiez au football ou à l'histoire de l'URSS et de la Russie, Futbol (Le ballon rond de Staline à Poutine – Une arme politique) est pour vous. Voici en effet un excellent ouvrage, précis, très bien documenté, fourmillant de faits historiques et d'anecdotes et proposant une belle iconographie. Régis Genté et Nicolas Jallot, respectivement journaliste et documentariste, ont enquêté sur le terrain, consulté des archives et retrouvé quelques témoins d’événements parfois lointains.

La Russie puis l'Union soviétique sont venues lentement au football (création de la fédération russe en 1912), activité considérée par les bolcheviques comme un jeu aux origines bourgeoises et donc non compatible avec l'idéal révolutionnaire. Pourtant, si les premiers véritables clubs (Dynamo, Spartak) ne se constituèrent que dans les années 1925, les responsables politiques virent très vite tout le parti qu'ils pouvaient tirer de leur développement pour la réalisation de leurs ambitions personnelles. On lira donc avec grand intérêt le récit de la création et de la progression sportive et politique, à l'initiative de Beria, du Dynamo Tbilissi, club emblématique de la fierté et du nationalisme géorgien. Autre exemple, la tournée quasiment surréaliste, en 1937, de joueurs basques issus en grande partie de l'Atletico Bilbao, sera l'occasion des premières rencontres « diplomatiques » mêlant habilement le soutien à la cause basque lors de la guerre civile espagnole et l'affirmation des qualités morales et sportives de l'homo sovieticus. le bilan – six défaites nettes, un nul et une victoire douteuse – sera toutefois accablant pour un « football rouge » encore balbutiant ! Au niveau de cette mise en avant de la fierté nationale (et de la flatterie à l'sagard du chef suprême), comment oublier la reconstitution d'un terrain grandeur nature sur la Place Rouge pour un match visant à faire découvrir à Staline - qui ne mettait jamais les pieds dans un stade - les vertus du foot à l'occasion du « jour de la Culture Physique et du Sport » de 1936. le compte rendu de la rencontre est éloquent.

S'appuyant sur des comptes rendus d'évènements parfois anecdotiques, faisant la part du vrai et de la légende, Genté et Jallot se livrent ainsi à une longue et précise analyse des enjeux que représente le football dans l'URSS stalinienne. Car si ce sport est vite devenu une source d'avantages et de revenus confortables pour joueurs et entraîneurs, le succès suscita souvent envies et jalousies susceptibles de vous envoyer tout droit au goulag, surtout si votre club était en rivalité sportive avec d'autres plus proches du pouvoir, comme le Dynamo, club du NKVD puis du KGB, par exemple ! Les frères Starostine (fondateurs et animateurs du Spartak Moscou) pourront en témoigner ; mais si le foot peut vous conduire dans les camps, c'est le foot qui vous en fait revenir.

Les chapitres consacrés à la période actuelle, en particulier sur les relations pas si conflictuelles entre les ultras et leurs clubs, ou sur la prise en main de clubs du Nord-Caucase par des oligarques locaux soucieux de gloire personnelle mais aussi de s'attirer les bonnes grâces du pouvoir central, n'en sont pas moins fort utiles.

En Russie, puis en URSS et à nouveau en Russie, tout est politique dans le « futbol ». Au niveau national tout d'abord, avec les rivalités (où tous les coups semblent permis) entre clubs liés à des structures étatiques (armée, KGB) ou industrielles (usines d'automobiles, manufactures de tabac), les ambitions politiques conflictuelles (Beria avec le Dynamo Tbilissi, le fils de Staline avec le club de l'armée de l'air) ou les intérêts financiers avec les oligarques (Gazprom aujourd'hui). Au niveau international, au-delà de la diplomatie du football évoquée plus haut, le pays a toujours considéré le sport comme une arme de propagande dévouée à la valorisation de la suprématie de ses valeurs, quelles soient communistes ou nationalistes, et cela même pendant les heures les plus sombres de la « grande guerre patriotique ».

Cette contribution – pour laquelle je remercie Masse critique et les éditions Allary – est publiée alors que la Coupe du monde 2018 est entrée dans sa dernière phase et que la Russie tient sa qualification pour les quarts de finale. Une occasion pour le pays de se souder derrière son équipe et pour le Président Poutine de se féliciter de l'organisation d'un évènement éminemment géopolitique pendant lequel des millions de spectateurs de par le monde ont les yeux rivés sur la Russie et ses stades. L'Union soviétique s'est disloquée en 1991, le régime a changé et évolué, mais les idéaux restent, comme en témoigne l'affiche officielle de la Coupe du monde, hommage post-constructiviste, digne de l'époque de l'agitprop, à Lev Yachine (pour la Russie soviétique, le gardien est le dernier espoir, celui qui protège) et une référence au premier spoutnik. Jusqu'à aujourd'hui, les maîtres du Kremlin ont compris que le football, même s'il n'a pas été facile de l'implanter dans un pays trop grand et trop froid, pouvait être un fantastique moyen de servir la gloire d'un pays et, à une époque, d'un système. C'est le très grand mérite de Régis Ganté et de Nicolas Jallot de le faire découvrir dans cet essai passionnant.
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