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Critique de Melieetleslivres


En pleine période #MeToo, Alice Géraud, journaliste spécialisée dans les faits divers de la société française, est interpellée par un confrère sur cette histoire folle d'un violeur en série, appelé le Violeur de la Sambre, vient d'être arrêté après plus de trente ans d'agressions et de viols, et est inculpé pour un minimum de 57 victimes.

Son mode opératoire est toujours le même, son terrain de chasse : une départementale de 27 km, le long de la rivière la Sambre, des voies ferrées entre Maubeuge, Louvroil, Aulnoye-Aymeries, Avesnes, dans le Nord. Il attaque à l'aube seulement, arrive derrière sa cible, l'étrangle d'un bras ou avec un lien, la traine dans le fossé ou un champ, ou une ruelle, un chemin quasi dans le noir, l'empêche de le regarder, et avec un couteau la menace. Beaucoup de victimes en sortent avec d'horribles marques de strangulation, la plupart restent inconscientes un long moment, avant de se relever. L'homme a disparu. Leurs vêtements sont boueux, il s'est surtout attaqué à la poitrine des victimes. Parfois viol par fellation, parfois viol vaginal. Les victimes ont entre 13 et 50 ans. Certaines ne disent rien, et celles qui portent plainte vont vivre un calvaire.

Le parcours criminel de cet homme commence vers 1986 (d'autres agressions précédentes n'ont pas été enregistrées), et finit en 2018.
Les plaintes enregistrées soit à la Police, soit chez les gendarmes ne sont pas toutes retrouvées. Car ces inspecteurs et autres gendarmes ne portent aucun intérêt à ces victimes terrorisées, et souvent il n'y a qu'une main-courante, ou alors on ne leur propose pas de porter plainte, contre X car pour la plupart elles n'ont pas vu le visage du criminel. Et pendant longtemps, on va désigner ce qui leur est arrivé par la dénomination « attentat à la pudeur ».

Quelques unes ont vu son visage, mais par contre son odeur de métallurgiste et sa voix leur restent. Les plaignantes sont malmenées, elles ne sont pas crues, elles sont souvent accusées de mentir, de fabuler. L'horreur en plus, car personne ne leur dit qu'il y a d'autres victimes.
Que le salopard en question est ami avec les policiers de Maubeuge, et passe souvent dans ce vieux commissariat pour boire un coup avec les flics.

Que seules deux archivistes de la Police Judiciaire de Lille vont commencer à faire le lien entre plusieurs plaintes et vont faire un tableau sur des feuilles A4 avec tout ce qui peut etre recoupé : les heures, les jours, l'endroit, les descriptions.
Rien ne sort dans la presse, à part un petit journal hebdomadaire local « La Sambre ». Les policiers n'ont aucune idée que leurs collègues de la ville d'à côté recueillent aussi des victimes de ce serial violeur. Personne ne partage. Personne n'en parle. Et la compétition entre Gendarmerie et Police fait que chacun s'occupe de ses affaires. de ces plaintes. Il y a des enquêtes en cours mais aucune plaignante n'est tenue au courant. C'est l'omerta partout.

C'est le constat atterré de la journaliste, qui décide d'aller voir de près ce qui se passe, ce qui s'est passé. Ce Dino Scala, qui a fait bien plus de victimes que la justice n'en n'a compté, a vécu et violé toute sa vie sur un minuscule périmètre, sans être inquiété ni interrogé. Par personne. Son ADN l'a finalement trahi, et les caméras de sécurité du parking de l'usine métallurgique où il a toujours travaillé permettent à des inspecteurs de la PJ de Lille de l'arrêter, en Juin 2018.

Alice Géraud, journaliste à Libération puis fondatrice du site « Les Jours » s'en va sur le territoire de la Sambre, à la rencontre de victimes de Dino Scala, celles qui veulent bien lui parler. Elle recueille leur parole, sans jugement, leurs explications, souvenirs, et ensuite ce qui est souvent le plus dramatique, comment leur plainte aux autorités a été reçue. Comment elles, elles ont été reçues. Leurs traumatisme qui empire. Les conséquences de ce viol et de se sentir méprisées par la police et la justice. Leur combat, leurs vies détruites. C'est effrayant et bouleversant.

D'un autre côté, l'auteure va dans les commissariats, et rencontre des témoins qui expliquent comment ces victimes sont reçues. le langage procédural utilisé. La différence manifeste entre les mots tapés à la machine sur du papier pelure, enfin retrouvés, et la parole de chaque victime.

L'auteure relate toute l'enquête, chronologiquement, en mettant en premier et en priorité la parole de ces femmes que la justice a méprisées pendant trente ans. Celles qui ont eu un meilleur « traitement » parce qu'on a trouvé de l'adn, qu'on l'a cherché. C'est effarant.
Dino Scala a été jugé en 2022 pour le viol de 57 femmes. Il a pris 20 ans mais a fait appel. D'autres victimes sont en train de se faire connaître.

Je suis sortie bouleversée, atterrée de ce livre si précis, si effroyable de la façon horrible dont les gendarmes et les policiers ont nié tout respect de chaque victime, de la petite de douze ou treize ans qui ne savait même pas décrire ce qu'elle avait dû faire, à des cinquantenaires rouées de coups et détruites moralement. Et les dégâts sur leur vie intime et sociale. Je pensais que cette façon de recevoir des victimes de viols datait d'il y a cent ans. Mais non ! Tout est vrai. Et cette misère sociale du Nord, avec les aciéries qui ferment l'une après l'autre, donnent une couleur et un décor infiniment triste à l'histoire. Je suis du Nord. J'ai la chance de ne pas avoir vécu celà.

Il paraît qu'une série télévisée va sortir, s'inspirant de ce livre.
Ce livre a reçu de nombreux prix. L'enquête est précise, le style clair, c'est une lecture indispensable.


Ma note : 5 sur 5.
Lien : https://melieetleslivres.fr/..
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