Avec
La Libellule Noire voici une auteure française qui nous livre un pur polar à la suédoise avec tous les ingrédients du genre !
Au début j'ai craint que l'on nous dépeigne une galerie sans fin de personnages, un peu comme dans l'Anomalie d'Hervé le Tellier, mais non. L'intrigue se noue assez rapidement et se révèle très prenante jusqu'à la fin.
Je ne sais pas dire si un livre est bon ou s'il est mauvais. Je ne vous dirais jamais lisez celui-ci, ne lisez pas celui-là, tellement tout cela est une affaire de goût et de ressentis personnels. Je saurais seulement vous dire si j'ai aimé ou pas… Quoique… là j'ai un petit problème : j'ai adoré lire ce livre, mais je n'ai pas aimé le terminer. Sa fin, que je ne vais évidemment pas vous raconter, m'a pris de court et en quelque sorte ramené sur terre, et du coup m'a conduit à reconsidérer d'un oeil nouveau certains éléments de l'enquête. Voici en texte masqué le fruit de mes réflexions :
Pourquoi je n'aime pas la fin : pour moi celle-ci est trop soudaine. Alors que l'avant dernier chapitre se termine avec Anders qui vient de découvrir le corps ensanglanté d'une femme au bord d'un lac, le dernier chapitre qui est presque un épilogue s'ouvre quinze jours plus tard sur Anders qui attend sa collègue Karen à la sortie de l'hôpital. Personnellement je me suis senti brutalement abandonné. Un peu comme si on m'avait fait courir pendant des pages et des pages (et j'ai adoré courir) et que tout à coup on me lâchait la main en disant « A y est, t'es arrivé ! », alors qu'on est encore en rase campagne.
Pour combler cette formidable ellipse – il faut bien que le lecteur comprenne – on nous assène deux pages d'explications sur les tenants et aboutissants de l'intrigue. On entend presque l'auteure nous dire « vous allez voir que tout se tient ! ». Ça a un côté pratique. Si on a oublié quelque chose en cours de narration on peut toujours colmater les brèches à la fin. Mais justement, à mes yeux, cette accumulation de détails déballés presque sans respirer (il y a peu de paragraphes) a comme un effet de loupe qui fait qu'on n'y croit plus.
Et ensuite c'est la pelote de laine, plus on tire sur ce qu'on ne croit pas et plus la liste des éléments peu ou pas crédibles s'allonge :
J'ai franchement du mal à croire au personnage de Lucas, encore une fois pas en cours de lecture mais à la fin, quand on sait tout. Voilà un homme de 35 ans qui a su mener de longues études et devenir un entomologiste assez connu, dont le métier est aussi une passion qui forcément lui prend beaucoup de temps. Il faut passer des heures dans les bibliothèques et des jours et des nuits au bord des lacs. On le présente aussi comme quelqu'un d'assez cool qui sait prendre le temps de vivre (il ira peut-être se baigner après la bibliothèque, il passe ses week-ends dans des raves-party…). Je veux bien admettre qu'en marge de cela il puisse nourrir une certaine passion pour la folie et le fanatisme. Mais cette passion était forcément accessoire, sinon où aurait-il pris le temps de faire tout ça ? Or pour que le simple fait de croiser le sujet adéquat (kristina) déclenche en lui l'envie d'entamer sa série de meurtres il fallait que cette passion lui occupe pleinement l'esprit, ou en tout cas beaucoup plus que les insectes. Tout de même, on n'est pas en train de parler d'un achat compulsif dans un rayon de supermarché mais de la préméditation de trois meurtres. Et pour couronner le tout les psychiatres ne lui trouvent aucune pathologie.
Il n'est pas logique que Lucas accepte d'héberger Kamilla durant cette période troublée où il a bien autre chose à faire. Pour se créer un alibi nous dit-on. Mais au moment où il répond favorablement à la demande de Kamilla il est loin d'imaginer qu'il aura besoin d'un alibi.
De même, il n'est pas logique qu'il prenne le risque de l'emmener précisément là où il a immergé Sarah. En découvrant la deuxième victime il est contraint de devenir témoin et sans cela la police n'aurait jamais eu vent de son existence.
De plus, il y a tout de même beaucoup de concours de circonstances pour que l'histoire tienne (vous me direz… la vie aussi, parfois). Mais quand même :
Lucas est pris d'une envie de meurtre parce que Kristina, schizophrène, est la victime idéale. Bon, maintenant il en faut une deuxième. He super ! une certaine Sarah précise sur un site de rencontre qu'elle est schizophrène. Vous en connaissez beaucoup qui vont mentionner spontanément ce genre de pathologie sur leur profil ? Et ô coïncidence elle est traitée dans le même service que Kristina, et bien sûr, tant qu'on y est, dans le même service que la fille du principal enquêteur. Ce n'est pas anodin car sans la remarque de sa fille au sujet de la passion du copain de Sarah pour les insectes, Anders n'aurait jamais fait le rapprochement avec Lucas.
Et pour que le puzzle soit complet, dans ce service hospitalier le principal infirmier présente une déviance qui le place au premier rang des suspects et permet à Lucas d'avoir prise sur lui.
Enfin il faut une troisième victime ? Miracle ! La policière qui vient interroger Lucas n'a pas l'air bien d'aplomb non plus…
Tiens, puisqu'on parle de la policière. On peut aussi s'étonner que Karen qui reproche à Anders ses fautes de procédures, accepte un café en terrasse puis parte en week-end avec un témoin clé de l'enquête… en plantant son équipier en pleine urgence !
Et Lucas drogue Karen à la terrasse du café ? heu… oui, bien sûr !
Autres détails plus anecdotiques : Lors de leur dernière perquisition de l'appartement de Lucas les policiers trouvent un pot de terre dans le frigo. Ce n'est quand même pas une chose très courante dans un frigo et Kamilla qui vit dans le même appartement depuis trois semaines aurait dû le remarquer et s'en étonner. Mais nous n'avons jamais eu ce sujet de conversation entre Kamilla et Lucas.
Et puis quelle rapidité de la police scientifique pour analyser la terre et identifier le lac correspondant ! A peine quelques heures, un dimanche après-midi. Chapeau !
Et le meilleur pour la fin : Lucas est arrêté grâce à un touriste anglais qui le reconnaît à 100 mètres en randonnant sur une piste lapone isolée ! Ce n'est évidemment pas impossible mais je l'aurais mieux admis si on m'avait raconté la traque de manière plus détaillée. Par exemple comment le touriste a-t-il eu connaissance de la photo du fugitif, dans un hôtel ? ou bien y a-t-il des refuges avec la télé ? On ne saura pas…
Avec un peu de recul, j'ai envie de comparer ce roman à une bicyclette : tant qu'on a de l'élan, tout tient debout et le voyage est agréable. Mais il n'aurait pas fallu freiner si brutalement…
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