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Critique de Slava


Slava
03 décembre 2020
Olivier est un professeur d'histoire universitaire qui travaille pour la télévision avec son émission Histoire d'images consacrés aux photographies historiques. Héloise est une documentaliste photographique qui travaille avec Olivier. Ils vont déjeuner ensemble mais sur la rame du train a lieu une explosion dont ils en sont victimes. Ils en réchappent, avec des blessures mais avec des traumas psychologiques. Leur calvaire ne finit pas malheureusement : ils découvrent qu'une image d'eux, prise sur la volée par un photographe de Scoop Images une revue sensationnaliste a été publiée et se retrouve partout dans les médias, sur les journaux comme sur les sites Internets. Une image qui leur prive de la vie privée et qui l'endommage, leurs proches les ayant vus : Olivier et Héloise ont tous deux chacun un partenaire en effet, les ragots et les jalousies vont aller de bon train... Ils devront réparer leurs corps et leurs esprits brisés par cet événement et demander justice à leur intégrité dont le cliché leur dénie...
Aujourd'hui nous vivons dans un monde ou nous sommes submergés de photographies d'événements dramatiques tels que les catastrophes, les guerres ou encore les attentats devenus tristement communs. Des images dont la plupart sont devenues très connues, dépeignant sur l'instantanée les acteurs responsables ou non de la scène, qui sont rentrés dans la mémoire collective et historique : la petite fille hurlante brulée par le napalm de Vietnam est l'exemple le plus connu sur ce point là, disant tout sur l'horreur que fut cette guerre. Mais on n'a jamais pensé de la validité de ces dites images, du fait qu'elles ont été prises sans le consentement des victimes et sur la pertinence réelle d'en faire et le roman d'Hélène Gestern nous met en face de ces problèmes qu'on pense rarement avec une grande sensibilité.
Le récit est violent mais pas de la façon qu'on le pense. Oui, il s'ouvre sur la tragédie du métro, sur les personnages principaux venant d'être sauvés et devant se reconstruire à l'hôpital, blessés dans leurs chairs mais aussi percutant que ce soit cet incipit, il n'est pas le plus brutal. Ce qui est brutal, c'est quand la photo paraît et c'est là que la violence frappe. D'abord l'image elle-même, crue, laide et obscène, surprenant dans l'intimité totale des êtres humains fragilisés. Puis sa diffusion qui se propage comme la peste mettant à nue ses malheureux protagonistes et à la disposition de tous. Et ses effets hideux sur la vie de ceux-ci : leurs couples se disloquent, on les interpellent dans la rue, leurs travails sont mis en doute (l'un des deux sera même viré, perdant son boulot)... Et quand ils demanderont au journal de supprimer la dite image, ils se confronteront à l'inhumanité de la gazette qui leur dénie leur diginité puisqu'il les jugent comme " un paramètre susceptible d'améliorer un tirage hebdomadaire", comme un élément leur ayant permis de graisser leurs affaires économiques. La bataille pour retrouver leur décence sera longue et douloureuse et on n'est même pas sûre qu'ils gagneront mais cela leur importe peu puisque c'est déjà dénoncer le "hold-up biographique" que personne ne s'émeut.
La violence du cliché qui en émane n'est pas seulement de son contenu mais surtout du viol intime dont il fait preuve, de bafouer l'intimité et l'humanité de sa victime qui en est réduite ainsi . Et comme dans un viol, c'est la victime qui en sera accusé pour avoir été faillible et démuni à y répondre mais jamais son violeur. Une brutalité qui s'amplifie avec les réseaux sociaux et dont les cas récents y répondent hélas. Toutes ces souffrances que vivent Héloise et Olivier ne servent qu'à critiquer le voyeurisme prégnant de notre société et de sa stupidité à que "engourdie de violence il nous fallait voir le sang qui a coulé ". On dit bien qu'une image dit mieux qu'en mille mots mais quand on voit ce que subissent ceux qui ont été photographiés, je doute l'intention bien-fondé d'y montrer la violence et plutôt de la curiosité déplacée. C'est choquant, c'est dur, et cela nous remet en question sur l'utilité même de l'image: Olivier qui anime son émission consacré à ce type de photographie et croit en sa puissance d'influer L Histoire va se retrouver à douter et frôle d'y perdre la foi, de ce que signifie même son métier.
A ces épreuves se succède aussi l'enquête sur l'attentat qui se lit comme du suspense et qui réserve beaucoup de surprises et qui est loin d'être ce que l'on imagine, qui s'avérera sans trop en révéler être un malheureux incident d'où ont joué beaucoup de facteurs déplorables. On s'intéresse à leurs coupables et on s'aperçoit qu'ils sont tout aussi humains que leurs victimes : un coup de pied à la déshumanisation générale que les médias et l'opinion publique attribue vite aux terroristes, qui s'ils sont bien criminels, ne sont pas pour autant des prédateurs à ce point qu'on les considère même extraterrestre. La force de d'Hélène Gestern, restituer leur humanité à tout le monde et même Héloise et Olivier ont des défauts peu plaisant : mais qu'importe mal qu'ils ont fait, leurs douleurs et leurs tourments sont injustes.
Et je devrais parler du style qui est très beau, lent certes et parfois alambiqué, mais très vif, d'une grande sobriété et pudique même dans les moments affreux.
Un très joli roman bien intelligent sur le pouvoir des images et le ressenti de ses victimes. Bien entendu il ne dénigre certes pas l'image et l'utilité du photographe et journaliste même : par moments, surtout les intermèdes ou sont décrits quelques photographies historiques connues, il rappelle son bénéfice pour rapporter un instant historique et conserver ainsi le souvenir de cette action mais interroge ceux qui les prennent et qui oublient que ses cibles sont des êtres humains qui n'ont pas demandé qu'on les surprenne dans leur moment le plus infâme. Et il interroge aussi à nous, spectateurs de ces clichés qui oublient l'humanité des victimes. A y lire pour sa justesse et sa délicatesse, aussi pour combattre le voyeurisme qu'incite toutes ces photographies capturant sur l'éclat des vies humaines dans leur faiblesse corporelle et psychologique.
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