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Critique de Woland


On a dit de Gide qu'il avait fait beaucoup pour le roman moderne et c'est vrai. Pour le roman tout court, par contre ... "Les Caves du Vatican", oeuvre-clef où l'écrivain revient sur l'acte gratuit (ici, le crime perpétré par Lafcadio) et la liberté de pensée, reste, je crois, la meilleure preuve de l'abîme qui séparait Gide du Roman.

Du roman en effet, cet ouvrage n'a que les apparences : une intrigue, ou plutôt des intrigues très lâches, qui ressemblent plus à des fils au bord de la rupture qu'à de vraies, de bonnes, de solides intrigues traditionnelles, et des personnages bien croqués mais dont aucun n'a l'étoffe du héros classique et pas même celui de l'anti-héros. le style est étudié, un peu trop précieux à mon goût (j'ai songé çà et là à un Huysmans du XXème siècle, désireux d'offrir le mot étrange et pittoresque qui veut certes séduire et frapper l'imagination mais qui, dans le meilleur des cas, ne parvient qu'à lui causer une sorte de malaise) et il a, avouons-le, assez mal vieilli.

Au beau milieu de cette pelote de fils qui s'enroulent paresseusement dans plusieurs directions opposées, une escroquerie montée par un ancien condisciple et ami de Lafcadio, Portos, ainsi surnommé parce qu'il était toujours premier en grec, et visant à recueillir un maximum de fonds de la part de naïfs et honnêtes catholiques en leur faisant croire que le pape Léon XIII est retenu prisonnier par les Francs-Maçons dans les caves mêmes du palais papal.

Peut-être Gide a-t-il songé, ce faisant, aux mille et une impostures d'un Léo Taxil ? Assez paradoxalement, cette partie-là de l'histoire, qui se fonde pourtant sur une escroquerie clownesque, est celle qui tient le mieux la route. En tous cas, le lecteur s'y laisse prendre et s'amuse de la ruse des uns comme de la naïveté des autres. Mais n'est-ce pas parce que l'auteur s'amuse aussi car il abandonne pour un temps le souci de sa démonstration sur la liberté et l'acte gratuit pour plonger au coeur même de la satire ? Ou plutôt de la sôtie car Gide parlait de ses "Caves ..." comme d'une sôtie.

"Sôtie ..." le mot est drôlatique et sautille en tous sens, tel un curieux petit lutin bien décidé à faire feu de tous bois pour distraire son public et se moquer des hommes. Or, à ma grande consternation, si j'excepte l'intermède relatif au rapt de Léon XIII et à sa séquestration, je ne retrouve sa finesse et sa drôlerie nulle part ailleurs dans ce roman. Et pourtant, j'ai cherché - je cherche encore ...

Il est curieux de constater combien, parfois, ce qui vous a plu quand vous aviez quinze ans vous devient étranger avec les années. Des "Caves du Vatican", je ne distingue plus que les défauts, qui sont criants : construction bancale, grossièreté du noeud reliant entre elles les différents intrigues, lenteur et hésitation du développement dans son ensemble (nous sommes loin de la maîtrise des "Faux-Monnayeurs"), valse trop lente de personnages à la limite de la caricature satisfaite, afféterie du style. Soucieuse cependant de ne pas envoyer au bûcher tout ce que j'ai pu aimer dans cette défunte idole, je note une fois encore combien l'humour de Gide, lorsque celui-ci le laissait parler, savait être à la fois féroce et souriant et combien ce penseur austère, aussi affligé par le protestantisme que Mauriac le fut par le catholicisme, possédait une veine satirique qu'il s'est refusé à exploiter pleinement.

Dommage, vraiment dommage. Il sort de tout cela une impression de gâchis obscur qui attriste singulièrement. Mais tant pis : Sic transit mundi gloria. ;o)
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