Avertissement au lecteur. On peut lire çà et là, dans les exégèses académiques, lesquelles s'évertuent à retirer toute leur légèreté aux objets littéraires pour les faire entrer dans le morne champ des sciences humaines, qu'il s'agit d'une profonde réflexion de Gide sur l'acte gratuit, la morale, l'athéisme etc. Certes. Mais c'est avant tout et surtout une loufoquerie.
L'intrigue est un peu décousue, le fil de la narration un peu lâche, il ne faut pas le perdre d'un livre à l'autre car dans chaque nouveau livre, l'histoire se poursuit sous un angle et des personnages différents.
D'aucun trouveront un savoureux plaisir à découvrir la galerie de personnages croqués dans cette satire. D'un point de vue tout à fait subjectif, même si Lafcadio –superbe - est le personnage central, Amédée Fleurissoire (un rictus pour son patronyme ?) est le plus tangible de tous. L'absurde destin de ce crédule palois est parsemé de bouffonneries facultatives. A travers ce personnage plus qu'aucun autre, l'humour du narrateur nous ravit. Quant à Julius de Baraglioul, un écrivain puisant son inspiration dans les évènements mêmes du récit, il satisfera la vieille marotte du lecteur (pour la traque de l'auteur derrière ses personnages) qui furtivement, au détour d'un dialogue, jurera distinguer Gide dans cette mise en abyme.
Les interférences de Gide (le vrai) dans la narration sont autant d'occasions privilégiées de complicité avec un auteur qui s'invite tantôt en démiurge tantôt en simple spectateur, toujours attentif à son lecteur.
Le style de l'auteur est résolument soutenu, les phrases ne sont ni pompeuses ni lyriques, certes parfois alambiquées, sans poésie, mais le lecteur appréciera le charme d'un vocabulaire désuet.
Qu'en pensez-vous ?
André Gide nous emmène dans un chassé-croisé de personnages et d'intrigues autour d'une fausse nouvelle orchestrée par un escroc, Protos : le prétendu enlèvement du pape Léon XIII qui serait séquestré dans les caves du Vatican et remplacé par un imposteur…
Anthime, ancien franc-maçon, vient de se convertir suite à une visite de la Vierge ayant entrainé la guérison de sa sciatique. Il vit désormais pauvrement car il a perdu tous ses biens et la promesse de l'Eglise de le dédommager est restée lettre morte.
Son beau-frère Julius se découvre un demi-frère Lafcadio, pas très catholique…personnage sans foi ni loi mais au charme indéniable…qui n'hésitera pas à tuer sans motif un inconnu…qui n'est autre qu'Amédée Fleurissoire, un autre beau-frère.
Quand est tombé la nouvelle de la disparition du Saint-Père, Amédée a laissé sa chère Arnica, soeur des épouses d'Anthime et de Julius et s'est embarqué dans un périple plein de rebondissements. Il rencontre dans les rues de Naples de faux religieux et de vrais filous, se retrouve dans les bras de la belle Carola, ancienne maitresse de Lafcadio et actuelle de Protos, le grand manitou de cette sombre épopée…
Et quand Julius, parti à son tour à Rome, rencontre le pape pour plaider la cause d'Anthime, est-ce bien le vrai ou un usurpateur qu'il rencontre ?
Filouteries, escroqueries, crime gratuit…rien ne nous sera épargné dans ce roman foisonnant, plein d'humour, où l'on ne sait jamais qui se cache derrière de trompeuses apparences… Et quand l'écrivain imagine le crime parfait, sans motif donc impunissable, il est loin d'envisager sa réalité. Jusqu'au bout l'auteur nous perd dans des jeux de miroirs. Qui se cache derrière les masques de ceux que l'on pense être ce qu'ils ne sont pas ? Qui sont les plus filous ? C'est bien d'une farce dont il s'agit, en tout cas une heureuse découverte d'un classique très moderne !
Tout d'abord, une petite précision de vocabulaire… Une petite précision qui pourra sembler dérisoire à la plupart des « babéliotes », mais qui permettra d'éviter les commentaires un peu rapides à mon goût, du genre : « Les caves du Vatican est un mauvais roman »…
Il se trouve que « Les caves du Vatican », de la main même de l'auteur en page de faux titre est une sotie. C'est à dire, si l'on en croit le dictionnaire : une farce satyrique (médiévale)…
Une sotie, donc… Et quelle sotie ! Un texte saugrenu, confus, hétéroclite, iconoclaste ; bref, difficile à suivre…
On voit tout d'abord un Docteur franc-maçon Anthime Armand-Dubois résidant à Rome avec son épouse Véronique se convertir à la foi catholique à la suite de la guérison miraculeuse de sa sciatique.
On rencontre aussi un bande de malfrats, avec à leur tête le redoutable Protos.
On apprend également de le Pape a été kidnappé par cette bande de « pieds nickelés » et qu'il est retenu prisonnier dans les caves du Vatican. Il n'en faut pas plus pour que Lafcadio décide de s'occuper du problème…
Un texte confus… Certes mais aussi une réflexion sur l'acte gratuit et les rouages de la pensée qui mènent à la décision du passage à l'acte…
A sa sortie en 1914, cet ouvrage farfelu et unique en son genre dans la bibliographie de Gide eut un très grand retentissement dans la mouvance surréaliste, et fut condamné par les catholiques…
Pour ma part, n'ayant qu'un attirance modérée pour le mouvement surréaliste, je suis un peu resté sur ma faim : je préfère nettement le Gide au style cristallin, celui d' « Isabelle » ou de « La symphonie pastorale » que l'on ne retrouve que par bribes, ici.
On a dit de Gide qu'il avait fait beaucoup pour le roman moderne et c'est vrai. Pour le roman tout court, par contre ... "Les Caves du Vatican", oeuvre-clef où l'écrivain revient sur l'acte gratuit (ici, le crime perpétré par Lafcadio) et la liberté de pensée, reste, je crois, la meilleure preuve de l'abîme qui séparait Gide du Roman.
Du roman en effet, cet ouvrage n'a que les apparences : une intrigue, ou plutôt des intrigues très lâches, qui ressemblent plus à des fils au bord de la rupture qu'à de vraies, de bonnes, de solides intrigues traditionnelles, et des personnages bien croqués mais dont aucun n'a l'étoffe du héros classique et pas même celui de l'anti-héros. le style est étudié, un peu trop précieux à mon goût (j'ai songé çà et là à un Huysmans du XXème siècle, désireux d'offrir le mot étrange et pittoresque qui veut certes séduire et frapper l'imagination mais qui, dans le meilleur des cas, ne parvient qu'à lui causer une sorte de malaise) et il a, avouons-le, assez mal vieilli.
Au beau milieu de cette pelote de fils qui s'enroulent paresseusement dans plusieurs directions opposées, une escroquerie montée par un ancien condisciple et ami de Lafcadio, Portos, ainsi surnommé parce qu'il était toujours premier en grec, et visant à recueillir un maximum de fonds de la part de naïfs et honnêtes catholiques en leur faisant croire que le pape Léon XIII est retenu prisonnier par les Francs-Maçons dans les caves mêmes du palais papal.
Peut-être Gide a-t-il songé, ce faisant, aux mille et une impostures d'un Léo Taxil ? Assez paradoxalement, cette partie-là de l'histoire, qui se fonde pourtant sur une escroquerie clownesque, est celle qui tient le mieux la route. En tous cas, le lecteur s'y laisse prendre et s'amuse de la ruse des uns comme de la naïveté des autres. Mais n'est-ce pas parce que l'auteur s'amuse aussi car il abandonne pour un temps le souci de sa démonstration sur la liberté et l'acte gratuit pour plonger au coeur même de la satire ? Ou plutôt de la sôtie car Gide parlait de ses "Caves ..." comme d'une sôtie.
"Sôtie ..." le mot est drôlatique et sautille en tous sens, tel un curieux petit lutin bien décidé à faire feu de tous bois pour distraire son public et se moquer des hommes. Or, à ma grande consternation, si j'excepte l'intermède relatif au rapt de Léon XIII et à sa séquestration, je ne retrouve sa finesse et sa drôlerie nulle part ailleurs dans ce roman. Et pourtant, j'ai cherché - je cherche encore ...
Il est curieux de constater combien, parfois, ce qui vous a plu quand vous aviez quinze ans vous devient étranger avec les années. Des "Caves du Vatican", je ne distingue plus que les défauts, qui sont criants : construction bancale, grossièreté du noeud reliant entre elles les différents intrigues, lenteur et hésitation du développement dans son ensemble (nous sommes loin de la maîtrise des "Faux-Monnayeurs"), valse trop lente de personnages à la limite de la caricature satisfaite, afféterie du style. Soucieuse cependant de ne pas envoyer au bûcher tout ce que j'ai pu aimer dans cette défunte idole, je note une fois encore combien l'humour de Gide, lorsque celui-ci le laissait parler, savait être à la fois féroce et souriant et combien ce penseur austère, aussi affligé par le protestantisme que Mauriac le fut par le catholicisme, possédait une veine satirique qu'il s'est refusé à exploiter pleinement.
Dommage, vraiment dommage. Il sort de tout cela une impression de gâchis obscur qui attriste singulièrement. Mais tant pis : Sic transit mundi gloria. ;o)
Dépaysant. C'est le premier mot qui me vient à l'esprit à la fin de ma lecture. Car ce roman (mais l'auteur l'avait baptisé "sotie") déconcerte et vous donne l'impression d'être transporté dans un monde aux habitudes et au décor différents et c'est tout à l'honneur du talent de Gide. Ce talent, on le trouve dans une écriture que l'on devine avoir été longuement travaillée, ce qui donne des moments de langue remarquables mais aussi parfois un peu confus. L'intrigue est amusante, son traitement particulier avec ce roman à plusieurs voix juxtaposées. La chute surprend et laisse assez perplexe. Il est dit que Gide voulait y traiter l'acte gratuit, je me demande si la communication dans tous ces états et ses difficultés n'est pas aussi un thème de cette "sotie", si, en plus de la définition "gidiste" (si, si, cela existe), on reprend la définition originelle de farce critique de la société et des moeurs. En tout cas, malgré toutes ses réserves, je ne regrette pas ma lecture, ne serait-ce pour le plaisir de la langue mais aussi pour le moment de "dépaysement".
Né en ...