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Critique de Deleatur


Après Colline et Un de Baumugnes, j'achève avec Regain la fameuse Trilogie de Pan. Comme un brave lecteur discipliné, j'ai donc lu les trois volumes dans l'ordre chronologique de leur écriture, bien qu'aucun élément de récit ne relie entre elles leurs histoires respectives.
L'écriture de Giono est toujours d'une intensité extraordinaire. Sans reprendre ce que j'ai pu dire à propos de Colline ou de Baumugnes, je reste confondu par la puissance de cette langue qui provoque encore le saisissement de son lecteur, alors même qu'on lit cela à un siècle de distance :
« Une fois, c'était à l'époque des olives, on a entendu dans le bas du vallon comme une voix du temps des loups. Et ça nous a tous séchés de peur sur nos échelles. »
« Une voix du temps des loups »... Comment dire autant en si peu de mots, et avec des mots aussi simples ? Et c'est ainsi à chaque page. Un véritable enchantement.
Dans Regain, Giono poursuit sa personnification de la nature. Un feu d'olivier sous le chaudron y est par exemple comme un poulain : « ça danse en beauté sans penser au travail ». Sur ce point, la continuité des trois romans est assez évidente, même si les intentions prêtées à la nature n'y sont pas les mêmes.
Le ton nouveau de Regain vient peut-être de son ode à la sensualité, plutôt discrète dans les deux précédents romans mais très présente ici. Alors bien sûr, en des temps tels que les nôtres, voués à l'érotico-chic aseptisé et à l'épilation intégrale, la sensualité de Giono peut sans doute paraître dépaysante :
« Cette émotion de sa chair, ce travail du sang, ça vient de revenir, à croire que c'est une malédiction. Ses seins sont encore comme des bourgeons d'arbre. Elle tire sur son corsage parce que le corsage frotte le bout de ses seins et que ça l'énerve. Elle renifle pour mieux sentir l'odeur de Gédémus qui sue. Elle sue, elle aussi ; elle se penche vers ses aisselles pour sentir son odeur à elle. »
Si le texte est aussi fait d'odeurs, Giono ne cache jamais qu'elles peuvent être fortes (surtout à propos de Panturle, à vrai dire...). Elles expriment une sorte de rapport de vérité à la nature, et c'est d'ailleurs tout le roman qui propose un questionnement sur l'équilibre à trouver entre nature et culture (d'où les pages truculentes sur l'établissement de Panturle et Arsule en jeune ménage, sur Panturle découvrant l'hygiène, les draps blancs ou les vertus du rangement domestique). Ni l'un ni l'autre ne sont paysans au départ : elle est une fille perdue de la ville tandis que lui est un coureur des bois. Mais s'ils ne sont pas paysans, ils le deviennent par une sorte d'évidence, sinon de révélation. Et c'est le blé de Panturle qui ramène la vie dans le village abandonné, en suscitant après lui de nouvelles vocations.
Au moment où Giono écrit son roman, c'est évidemment tout le contraire qui a lieu : les villages se vident et l'exode rural est déjà devenu une réalité indéniable. Je ne crois vraiment pas que l'écrivain ait jamais caché un discours politique derrière le retour à la terre de ses personnages. Juste la tristesse, peut-être, de voir se mourir ces hameaux de Haute-Provence qu'il aimait passionnément.
Et l'envie de les ressusciter au moins par la plume.
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