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Critique de MFOREL


Phoenix désabusé, embarrassé d'un corps qui jamais ne parviendra à renaître de ses cendres, Jackson C. Franck revit pourtant depuis quelques semaines sous la plume de Thomas Giraud.
Après avoir posé son regard tendre et humain sur la trajectoire iconoclaste, légère et pleine de détermination du jeune Elisée Reclus, l'auteur nantais se penche aujourd'hui sur celle, plus sinueuse et plus sombre, d'un chanteur qui signera l'un des plus beaux albums de folk que l'Amérique ait connu puis sombrera dans l'oubli.

Le 31 mars 1954, un incendie ravage la salle de classe dans laquelle se trouvait Jackson. Quinze de ses camarades mourront. Lui devra désormais composer avec un corps meurti, mangé par le feu, et un visage déformé par la morsure des flammes. Sous les mots pudiques, précis et délicats de Thomas Giraud, la greffe dont bénéficiera Jackson se lit comme un événement déterminant et fondateur pour ce perdant magnifique.

« Ce n'est qu'un bout de peau mais il change toute la structure de son corps, se fait centre de gravité, dans tous les sens du terme, point de rupture et de tristesse donc, également. Ce bout de peau a tout réorienté. Ce qu'il aurait fallu, mais on ne le sait jamais au bon moment, c'est qu'il ait su que cette choses qui lui barrait le haut du front fascinait les autres, intriguait, créait une mélancolie curieuse et ajoutait une part de mystère à ce qui était resté de sa beauté initiale ; l'adolescence est le moment où l'on envie tout chez les autres et cette zébrure rose et orange suscitait l'envie, lui donnait le charisme de celui qui est revenu d'un scalp. »

Thomas Giraud, après deux romans, commence doucement à s'imposer comme un écrivain du fragment. du morceau. de l'éclat. du reste. Des brisures. Des bouts de ceci et bouts de cela. Bouts de pensée chez Elisée, révélateurs, émancipateurs, libérateurs. Bouts de peau chez Jackson, sclérosants, handicapants, aliénants puis, plus tard, structurants, inspirants. Thomas cultive l'art de s'appuyer sur ce qui compose, ce qui constitue, s'amoncelle, s'organise et non sur un tout déjà scellé, pour construire la partition de son récit. de la même manière que la toile de Rothko (Orange and Yellow) qui bouleversera Jackson peut s'interpréter comme une persistance rétinienne de l'incendie (cette fois-ci apprivoisé, structuré et presque rassurant), l'histoire réelle et réinventée de la photo de Jackson aux côtés d'Elvis peut se comprendre, là encore, comme un moment de vie consitutif qui inclinera la trajectoire de cet éternel timide vers les accords de guitare et le désir de marquer d'une empreinte brûlante l'histoire de la musique. Une toile, une photo. Un morceau d'art, un bout de souvenir…

Plein de ce morceau d'art et de ce bout de souvenir, Jackson quitte les Etats-Unis pour l'Angleterre. Là-bas, il sera repéré puis produit par Paul Simon. «Blues run the game » sort en 1965. C'est le seul album de Jackson C. Frank. Après, c'est le silence. La chute.
Mais ce sont les mots de Thomas qu'il faut lire pour comprendre et se laisser remuer par cette triste errance. Des mots dont il maîtrise à merveille leur économie, comme pour mieux nous faire sentir la mesure de leur poids et de leur sens. Comme pour mieux nous mettre à distance tout en invitant Jackson à nous murmurer délicatement ses plus intimes tourments.

« La ballade de Jackson C. Franck » est un roman poignant. Un roman teinté de gris. Musical et mélancolique. Un livre à offrir à tous ceux qui, un jour, ont posé leurs doigts sur un manche de guitare et cherché à faire sonner la magie de quelques accords lumineux. Mais il ne serait pas juste de penser que cette ballade n'est que musique. Elle est aussi chair et corps. « La ballade silencieuse de Jackson C. Frank » est à n'en pas douter un roman sur le corps. le poids du corps. le langage du corps. La dictature d'un corps qui se souvient et qui hante.

Un roman sombre et lumineux. Un roman de cendres et de flammes.
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