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Critique de michfred


Et dire que sans l'époustouflant billet d'Onee, j'aurais pu passer à côté d'un tel plaisir de lecture!

À la suite d'une erreur, Emma Rothner dite Emmi engage une correspondance par mail avec un certain Leo Leike. Tous deux se piquent au jeu et bientôt cette correspondance devient addictive :  de la joute verbale, naît  la complicité, du plaisir de la séduction masquée naît le désir, et bientôt un amour aussi virtuel que ravageur.

Comme une drogue dont aucun des deux, ni Emmi, mariée et heureuse dans une famille recomposée, ni Leo, qui sort d'une déception amoureuse , ne décèle immédiatement l'emprise.

Ils pourraient  se rencontrer: Leo et Emmi habitent la même ville..

 Le "présentiel" , comme on dit vilainement par ces temps de Covid,  devient une vraie question: se voir, se (re)connaître,  est ce bien une urgence? Faut-il vraiment mettre un visage et un corps sur un nom alors que tous deux  croient se connaître tellement? Et qu'ils se plaisent si follement...

Entendre leur voix  était déjà un risque, mais sans la vue, la voix reste désincarnée et peut continuer de participer au fantasme. La voix n' a pas  été un premier pas vers le réel, comme ils l'escomptaient..ou le craignaient Elle a même amplifié les délires de l'imagination, cette voix chucHOTée dans la nuit à  l'oreille d'un coeur battant la chamade ..

Alors,  se voir? ...le risque de déconvenue est immense! On sait ça depuis La Princesse de Clèves , confirmation avec L'Education sentimentale -  " Leurs yeux se rencontrèrent.. " - le coup de foudre nait du regard et souvent du premier regard. Mais Leo et Emmi sont déjà amoureux, ils ont tout éprouvé virtuellement: le désir, le manque, la possession, la jalousie...Comme l'écrit Leo, ils partent "tous  deux de la ligne d'arrivée". Chaque nouveau pas ne peut que les ramener en arrière, vers l'amère désillusion de la réalité. ..

Loin de la bluette redoutée-  une sorte de version romanesque  de "You've got a message!",  au cinéma, avec une Meg Ryan primesautière et aseptisée - je me suis trouvée aux prises avec un marivaudage subtil, lucide, cruel et drôle à la fois,  très proche non du cinema mais du théâtre!

Le mystère du virtuel en même temps  que son anonymat libératoire donne des ailes, permet les audaces, suscite  les jeux de rôle, les épreuves imposées, les rendez vous secrets, l'érotisme et même l'ivresse ! 

Le "jeu" mène la danse!

Les deux protagonistes jouent avec les décalages temporels propres à ce médium en différé : ces décalages  deviennent les didascalies de leur dialogue.

Si la reponse d'un mail  est envoyée quelques minutes après , elle dit  la colère, l'orgueil blessé, la curiosité piquée, la passion enflammée; si elle l'est après  quelques jours, elle dénote le temps de la réflexion, signifie la pause punitive, la déception, le doute.

Comme chez Marivaux ou chez Musset, les amants n'hésitent pas,   pour éprouver leur amour,  à envoyer sur le front du réel quelques victimes propitiatoires:  une meilleure amie, une ex, un mari inquiet.

Le jeu peut devenir un jeu d'échec. Cruel.

Comme au théâtre,  la dérobade est une force, et l'esquive, une stratégie...

Et comme au théâtre, à la fin, le rideau tombe,  cachant les coulisses du réel et escamotant , dans l'ombre,  les silhouettes  des protagonistes...

Très bien écrit, sans l'ombre d'une vulgarité ou d'une facilité - et malgré son titre, jamais "dans le vent"-, Quand souffle le vent du Nord est un régal! Merci, Onee, pour ce livre que j'ai essayé de déguster sans trop de voracité - difficile exercice de contrôle!- et dont je relis souvent,  depuis, quelques passages ..

Une lettre disait un des protagonistes des Liaisons dangereuses , est le portrait d'une âme.

 Plus rapide, plus réactif, un mail est l' electrocardiogramme, l' instantané troublant d'un sentiment qui a l'apparence du vrai, mais qui, privé du poids de la présence et de la vie réelle qui le lesteraient comme un boulet, se joue des contraintes du réel où l'imagination est constamment confrontée aux vérités concrètes.

Le mail garde l'extrême liberté du rêve, la séduction illusoire du fantasme. 
Le mail, c'est le dernier,  l'ultra moderne avatar, de ces lettres et billets  qui empoisonnaient le coeur d'Emma.

Emma Bovary, pas Emmi.... mais le prénom n'est sûrement pas une coïncidence.

 
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