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Critique de HordeDuContrevent


La possibilité d'une île …

Roman sensoriel dans lequel l'explosion des couleurs le dispute aux fragrances de haute montagne, L'île haute de Valentine Goby explore avec sensibilité le thème du territoire, à la fois lieu d'accueil, lieu de refuge et de cachette, lieu d'apprentissage, lieu de mémoire atavique offrant des racines auxquelles s'accrocher à un enfant dont les racines deviennent précisément des menaces, donc des racines à terrer et à taire. C'est un roman aussi beau que le promet la couverture dans lequel les paysages, au-delà de l'histoire narrée, m'ont enveloppée.
Valentine Goby retranscrit avec poésie la découverte d'un paysage totalement inconnu, la sidération produite, ici par la montagne et sa force tellurique, puis l'appropriation progressive du lieu au cours de trois saisons durant lesquelles la montagne se transforme, modelant par là-même les êtres.

Vadim, devenu Vincent Dorselles afin de cacher ses origines juives, arrive en hiver 1943 dans une région de haute montagne. Parisien de douze ans, il découvre la neige pour la première fois. Son asthme explique ce voyage, mais il n'est pas la seule raison : sa mère l'a également éloigné de la capitale car les juifs se font rafler. le paysage que le garçon découvre va être pour lui un choc immense…Malgré tout ce qu'il a pu apprendre à l'école sur la montagne, il découvre, émerveillé, un décor impensé, impensable, majestueux qui se dresse devant lui, cerné de pics et de glaciers qui par instant se dessinent dans l'épaisseur du brouillard. Là-haut, la nature règne en maître au rythme des saisons, ces cycles immuables au cours desquels des hommes et des femmes, des gosses, aux vies modestes mais d'une humanité décuplée par le sens et la nécessité de leurs tâches, vont partager leur monde avec ce citadin, ébahi. C'est avec son regard de garçon sensible qui associe à chaque mot des couleurs, que Valentine Goby nous offre un véritable hymne à la montagne.

« Son regard a changé. Au début, le blanc lui suffisait. C'était si nouveau cette texture aux métamorphoses constantes, tour à tour dure, molle, craquante, poudreuse, feutrée, lourde, légères, compacte, aérée, tendue, bosselée, mouvante et rampante et volatile dans l'avalanche, inerte au fond de la vallée, qui piégeait la lumière et la réfléchissait, accueillant toutes les nuances, bleue la nuit, diamantine ou mate le jour selon l'épaisseur des nuages, rose au coucher du soleil, grise dans l'ombre de l'envers et parfois translucide, quelle bizarrerie qu'un mot unique couvre un tel éventail d'images ».

Ce lieu magique et pour lequel les mots semblent si faibles pour parvenir à le décrire, c'est la possibilité d'une île… Vincent apprend qu'il y a des millions d'années, la mer recouvrait cet endroit. Et lui d'imaginer l'océan tout recouvrir, avec seule cette montagne des Aiguilles Rouges, la toute première montagne qu'il découvre à son arrivée, transformée en île, l'île haute…Les autres montagnes sous la mer contre lesquelles ondulent des algues turquoise, qu'habitent des bélemnites, devenus désormais fossiles végétalisés d'animaux marins.
Vincent, coupé de ses parents, accueilli par une famille aimante et bienveillante, entouré de nouveaux camarades extrêmement touchants, réunit sur ses dessins, la force tellurique de la montagne avec le berceau aquatique où la vie a commencé, réunit inconsciemment son père et sa mère en ce lieux totalement nouveau où il n'a, au début, aucun repère sur lequel s'appuyer…Un pays insoupçonné rien que pour lui. Avant que cette montagne devienne finalement, peut-être, un endroit pour vivre.

La possibilité d'une île, c'est un peu l'effet que procure cet endroit isolé en plein hiver, coupé de tout, les routes et les passages recouverts d'une épaisse couche de neige suite aux différentes avalanches. Isolée comme sur une île, une île en altitude, loin de la guerre, loin des allemands, loin des dangers. Un monde parallèle avec la possibilité de se réinventer, de pouvoir devenir un autre, de passer pour un enfant d'ici sans aucun compte à rendre à la vie antérieure, pour mieux oublier l'éloignement et la douleur. Se dissoudre dans l'espace face au feuilleté des reliefs à l'horizon. Éprouver à chaque nouvelle découverte la transe de la verticalité et s'intégrer peu à peu en faisant adhérer à ce paysage majestueux tous ses sens, le peintre devenant peu à peu tableau, le citadin désormais modelé par la montagne, en écho à l'altération sans fin du paysage.

« Droit devant, Vincent, c'est le mont Blanc – Ca ne l'aide pas, le mont Blanc est un caillou parmi des cailloux aux proportions tronquées par la distance. Ce qu'on ne peut pas mesurer, Dieu s'en empare, tous les dieux ou presque sont nés des montagnes. Dieu, ou l'art. C'est pourquoi au lieu d'écraser Vincent ce décor délirant in fine l'élève. Il flotte à l'intérieur de lui, pris d'un vertige pareil à la faim. Ça ne fait pas mal. Il se sent léger. Cristallin. A peine décollé du sol. Bizarrement reconnaissant. Il ne sait pas bien envers qui, envers quoi mais ça le submerge, il résiste à la vague et il cherche un appui, quelque chose à toucher, à serrer pour ne pas complètement se dissoudre ou plutôt se délester de ce trop plein d'euphorie, et c'est la main de Moinette qu'il rencontre ».

La possibilité d'une île, d'une île haute, avec sa faune et sa flore endémiques. Ses couleurs. Ses odeurs. Valentine Goby convoque tous les sens et donne à voir avec les yeux, avec la peau, les oreilles, les narines, les papilles. Des gerbes de couleur fusent en tous sens, au-delà du blanc de la neige peu à peu mangé par un éclatant nuancier de vert, se mélangeant aux effluves odorants, aux sons, aux sensations. Des violettes, des gentianes bleues, la douceur de l'herbe, le froid de la rivière, l'amertume du pissenlit, l'odeur du fumier, les odeurs qui varient en nuances subtiles selon l'altitude et l'ensoleillement, les cliquetis d'insectes et les pépiements d'oiseaux pour annoncer le petit matin, ce livre est une flamboyance des sens, une richesse de sensations.
« Parfum, ensoleillement, tiédeur, humide chatoient timidement dans son cerveau, violet, bleu électrique, viride, rose, qu'en faire sinon des seules taches de couleur ».
Cette façon de faire m'a enchantée et l'auteure use de cette sensorialité sur les trois saisons que le petit Vincent va passer dans la montagne. Chaque saison est l'occasion d'honorer la nature. C'est renversant de beauté. Là se niche la force véritable du livre, en ces mille et un tableaux.

« C'est un matin ambré, soleil doux, ciel jaune. On sent monter l'odeur de cire qui annonce les journées chaudes. Cartable au dos devant la maison, Vincent se tient immobile, scotché au paysage pelliculé de miel avec cette impression bizarre que le moindre de ses mouvements pourrait le déformer comme la toile d'un décor peint ».

Je ressors enchantée par cette lecture sensorielle et touchante dans laquelle nous voyons comment un paysage est capable de modeler un enfant, pour peu qu'il soit entouré d'adultes bienveillants.
Ce livre, c'est un regard poétique et magnifique sur un lieu, un regard de peintre, un regard immensément respectueux sur la montagne, certes sauvage et âpre, mais aussi à la fois vivante et salvatrice. « Ici, il n'a pas de paupières ».

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