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Critique de Lunabiax


Un jour d'hiver sibérien de 1956, François cherche du secours dans la campagne ardennaise. Pour mieux y voir, il grimpe sur un wagon désaffecté et lève les bras. Très grièvement blessé, il est emmené à l'hôpital où le chirurgien l'ampute d'un bras complètement carbonisé, avant de lui couper le deuxième bras. On l'estime mourant, il parvient à survivre. Mais dans quel état ? A 22 ans, gravement mutilé, complètement dépendant, amnésique de son passé récent, il ne reconnait même plus Nine, son amoureuse. Quel horizon a-t-il ? Quelle raison trouver pour continuer à vivre ainsi ?

Réapprivoiser son corps et l'image de soi, malgré l'horreur des parties manquantes. Renoncer à toucher, à caresser. Il faut du temps, énormément de temps pour faire le deuil de ses sensations, de ce corps obéissant et agile que le début du roman nous présentait, lorsque François grimpait un échafaudage avec toute l'aisance de sa jeunesse et d'un corps rompu à l'exercice physique pour aller saluer Nine. Six litres de sang, cent mille kilomètres de vaisseau, des rotules bien articulées, les jambes jeunes et sûres, le deltoïde, l'humérus, le coude, le poignet, les phalanges à l'oeuvre pour assurer les prises, la pointe du pied, la cheville, le mollet, la hanche pour se pousser, toute cette mécanique parfaitement huilée et décrite en détail, pour mieux faire sentir la perte qui va suivre.

A une époque où la chirurgie réparatrice ou orthopédique est encore à ses débuts, on dispose de très peu de moyens pour faciliter la vie des amputés. Surtout que François n'a même plus de moignons : son corps se termine à l'épaule, au niveau des acromions, sur lesquels on ne peut pas fixer de prothèse. On l'équipe tout de même a minima pour qu'il puisse au moins pincer des objets pour les attraper, mais l'essai n'est guère concluant. Après des mois de désespoir absolu, il met à profit son ingéniosité pour installer du matériel qui lui permet, non sans efforts, de s'habiller ou de faire sa toilette. Mais la dépendance reste très grande, et le découragement et la colère tout autant. Jusqu'à la rencontre avec le représentant de l'Amicale sportive des Mutilés de France qui va lui faire découvrir la natation, que pratiquent de nombreux handicapés. Dans l'eau, il n'est plus ce roseau impuissant ; dans l'eau il devient poisson, murène, comme celle qu'il a vue à l'aquarium, bête monstrueuse dépourvue de nageoires mais qui en nageant trouve une grâce insoupçonnable.

Alors François se métamorphose, et devient un sportif accompli. A l'instar de beaucoup d'autres, blessés civils, victimes d'accidents ou de maladie, dont la prise en charge est encore insatisfaisante. Il faudra du temps pour faire connaître le potentiel de ces sportifs, jusqu'à la création du handisport et des premiers jeux paralympiques, en 1964.

A travers l'histoire magnifiquement écrite de François, c'est le parcours de résilience de tous ceux qui ont perdu leur corps d'avant. Parfois pour mieux renaître, comme l'art japonais du kintsugi qui embellit les vases brisés dont les morceaux sont rassemblés au ciment d'or. « L'art des cicatrices précieuses ».
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