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Critique de Nastasia-B


2007, souvenez-vous : à l'époque, on ne disait presque plus « tiens, passe-moi ton portable » mais « tiens, passe-moi ton Nokia ». Oui, aux plus jeunes de ceux qui liront cette contribution, cela pourra sembler étrange. (Aznavourophiles de tous âges, fredonnez avec moi : « Je vous parle d'un temps, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… ») En effet, Nokia, en ce temps-là, caracolait en tête des ventes de téléphones mobiles depuis une dizaine d'années ; Nokia était partout, ce qui s'appelle partout, mais, mais, mais…

… en 2007 est sorti l'iphone. Très stoïquement, Nokia a regardé ça de loin, n'y croyant guère : le smartphone, pour cette entreprise, c'était une tocade, un élan passager… Et puis, et puis, quelques années plus tard… Nokia mettait la clef sous la porte ! le smartphone était roi, Samsung assis sur le trône. (Bien fait pour Apple, ils n'avaient qu'à vendre leurs cochonneries un peu moins cher ; ça leur apprendra !)

Eh bien, toutes proportions gardées, la publication des Souffrances du jeune Werther eut à peu près le même effet sur la littérature de son temps que l'introduction de l'iphone dans le paysage de la téléphonie mobile. Par rapport à ce qui s'écrivait au XVIIIe siècle, nul doute que Goethe a lâché une vraie bombe, qui a éclaté en pleine face des lecteurs contemporains.

Pour faire court, il a écrit en 1774, rien moins que… le premier roman du XIXe siècle ! Il a dynamité la syntaxe, bouleversé la narration, mis à la mode le romantisme et donné un grand coup de pied quelque part au roman de son temps. J'imagine que les lecteurs d'alors devaient en perdre leur perruque poudrée tant ça décoiffait.

Alors il est vrai qu'à présent, chers utilisateurs de smartphones, l'usage de cet appareil vous apparaît « normal », exactement comme l'écrit de Goethe peut apparaître « normal », surtout si on le compare avec ce qui s'est écrit par la suite au XIXe siècle. La différence, vous l'aurez compris, c'est que Johann Wolfgang Goethe avait juste entre un quart et un demi siècle d'avance sur son temps, excusez du peu.

Bon, il suffit avec ces préambules : quels sont les faits ? Première innovation intéressante : le roman épistolaire incomplet. le roman épistolaire était très à la mode en ce temps-là, mais Goethe a l'idée de supprimer les lettres du correspondant de Werther, si bien qu'on a l'impression que celui-ci s'adresse directement à nous, lecteur.

Ceci lui permet, deuxième innovation, d'adopter une liberté de ton et d'expression inusitée jusqu'alors. Tout ceci donne une impression de " naturel " à cette littérature, car il nous parle, comme en confidence, en exprimant bien toute sa subjectivité, tout ce qui lui plaît ou lui déplaît dans ce qu'il voit et ce qui l'entoure. Il donne son avis, émet des jugements. Certains sont assez convenus, d'autres franchement iconoclastes (en tout cas pour l'époque).

Autre thème, qui peut paraître ordinaire de nos jours mais qui ne l'était certainement pas au XVIIIe siècle : le mariage d'inclination. Et, qui plus est, la passion amoureuse « à la vie, à la mort ». Sans oublier, n'est-ce pas, sans quoi ça ne serait pas du vrai romantisme, l'évocation du thème champêtre, des éléments, comme le vent, la neige, les arbres, les pierres, et, mieux encore, la mousse incrustée sur les pierres, surtout si elles sont tombales, vous voyez, ce genre de choses.

Les grandes randonnées, sur les monts sur les veaux, enfin les vaux je voulais écrire, les nuits tombantes, les folles averses, les états d'âmes, mais aussi, les pensées adultères, voire, les envies de meurtre ! Ah, ah ! Intéressant, n'est-ce pas ? L'auteur s'en donne même à coeur joie pour égratigner, à chaque fois qu'il le peut, la bonne vieille religion chrétine, euh…, chrétienne, je voulais écrire. Eh oui ! Il y m'est tout cela, dans sa mixture, le grand J. W. G. (non, détrompez-vous, ça n'est pas l'acronyme allemand pour I. V. G., d'ailleurs il n'y a encore rien à interrompre car, à ma connaissance, il n'y a point encore eu consommation de l'acte d'amour entre les deux sucreries en question, le Werther original et sa Charlotte).

Alors, ça pourrait paraître un brin cul-cul, dit comme ça, mais en réalité non : Goethe sait très bien mener son récit, avec tout ce qu'il faut pour que cela passe très bien, même de nos jours, après bientôt deux cent cinquante ans de publication. Mon seul bémol sera pour le finale, moment où une espèce de narrateur extérieur vient nous alourdir la mayonnaise et nous assommer au passage des traductions des poèmes d'Ossian faites par Werther. Bon là, je dois reconnaître, j'ai bâillé à faire pâlir un hippopotame, si bien que mon impression terminale s'en trouve un peu amoindrie.

Pour le reste, au moins pour le rôle majeur que joua cette oeuvre dans l'histoire de la littérature et des idées, et même si ça n'était que la seule raison, je vous invite à la découvrir, si tel n'est pas le cas. Je vous invite également à prendre vos distances avec tout ce qui est exprimé ici, car, bien entendu, cet aliment fade, cette pâte molle, ne sont que les souffrances d'une vieille libertaire, des souffrances qu'un jeûne fait taire, c'est-à-dire, convenons-en, bien peu de chose.
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