Citations sur Les vaincus (13)
"Je suis née sur une planète hostile
Et arrivée dans des temps étrangers!
Ma vie, tel un pommier en fleur
Est terrassée par le frimas précoce
Et, comme moi, tant de fleurs flétries ,
Épuisées, se sont couchées,
Et leur nombre condamné au secret
A quitté la vie à jamais.
Nous sommes des étrangers, des proscrits, des misérables !
La foi, le devoir, le romantisme, l'idéal,
Tout ce qui faisait notre vie et notre nourriture,
Ce monde l'a détrôné et chassé.
Tout ce qui faisait autrefois notre joie
Est devenu pour nous violente douleur.
La fatalité a tout frappé de son interdit .
Puisse un jour un grand poéte
Se souvenir de ce sort cruel.
Moi, tel le cygne blanc dans le ballet,
Je dois nécessairement périr ....."
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16 avril . Pourquoi a-t-elle besoin de lui ? Elle est encore si jeune , elle tombera encore cent fois amoureuse, alors que moi ... je n'aimerai personne d'autre , jamais !
" Au dessus de l'incommensurable désert de l'océan
Passe le printemps avec une corbeille de fleurs
Et en fait tomber sur la poitrine du titan morose.
Hélas! Ce N'est pas pour lui que, rempli de joie,
Le printemps apporte avec lui amour et bonheur .
Il est d'autres contrées, avec des montagnes et des vallées,
Il est un autre royaume, oú l'attend un accueil .
Le trident abaissé, il le suit du regard...
Les rides profondes du front sont déplissées.....
Et lui, vole, tel un songe....toute beauté et toute lumiére ....
Fixant son regard impatient quelque part dans le lointain
Comme s'il ne connaissait même pas ce dieu lugubre ...."
18 novembre. C’est le déferlement de la terreur. Staline a perdu la raison. Si ceux qui m’etaient si chers n’avaient pas souffert à l’époque, ils auraient été attrapés maintenant ! Et moi, on m’a oubliée une fois de plus ! Moi, fille d’une modeste institutrice des campagnes, moi, submergée par les soucis que donne l’education des enfants, on me tient apparemment pour inoffensive parce que je passe inaperçue...j’ai envie d’eclater de rire ! Les gens ont peur de se rendre visite, ils arrachent et brûlent les photographies des albums, les lettres et les petits mots... Beaucoup sont ceux qui ne se déshabillent pas pour la nuit, dans l’attente de la Guépéou, tandis que moi... Je regarde toujours mon journal et je le conserve précieusement ! Oui, ça donne envie de rire !
Quand quelqu’un dit à quelqu’un d’autre au téléphone : « Elle est souffrante », il faut comprendre qu’elle est arrêtée ! Quand on dit : “Il part en voyage”, il faut comprendre que la personne part en déportation !
- Tout le monde connaît la routine, Mika ! C'est de loin, en regardant rapidement, qu'on a l'impression que, là où nous ne sommes pas, il n'y a pas de routine quotidienne. Je t'assure qu'elle suit chacun d'entre nous à la trace sous des aspects différents. Dans notre propre existence, nous pouvons distinguer seulement rétrospectivement la part flamboyante.
Les bolcheviques se taisent sur ce qu'ils ont fait en Crimée et , apparemment , ils espèrent que ce sera oublié et que l' Europe ne saura jamais rien de leurs vilenies ... Il n'en sera pas ainsi ! Il se trouvera des personnes pour se souvenir et qui ne pardonneront pas !
Qui donc pouvait devenir son héros aujourd'hui ? Le héros reconnu de l'époque, à savoir, le prolétaire ? Douze ou treize ans auparavant, ce prolétaire méritait peut-être un certain respect lorsque, séduit par les nouveaux slogans, chantant à tue-tête L'Internationale, il partait au combat. Mais maintenant, ayant reçu ce qu'il voulait, débridé et enivré par le pouvoir, il était trop difforme, avec ses immuables attributs ; la lutte des classes, le marxisme et la glorieuse Guépéou qui avait remplacé la Tcheka.
Je me souviens, autrefois, à Beriozovka, je venais regarder Assia se réveiller : elle avait les joues roses, le petit corps tiède. Elle se frottait les yeux avec ses petits poings et s'étirait de façon adorable. Avec Vsevolod nous ne pouvions nous arrêter de la contempler. Il la prenait dans ses bras et couvrait de baisers son cou de velours et ses petits pieds. J'étais alors alors amoureux d'une jeune fille et je me disais que j'aurai obligatoirement des enfants si je me mariais. Mais c'était à l'époque. A présent tout est différent, toute la vie a changé ! Moi-même je ne suis plus le même, je suis trop fatigué et ereinté pour commencer quelque chose de nouveau. J'ai déjà donné du reste la moitié de mon affection paternelle à Assia. Et puis, le sentiment que j'ai pour toi a beau être profond et solide, il est de toute façon meurtri et inégal.
Déclassé. C’est être retranché de la vie, retranché de son milieu habituel, quand tout passe à côté de soi.
Malgré toutes les horreurs, la vie est quelque chose de très intéressant. Ne sommes-nous pas curieux de savoir ce que nous serons amenés à faire ? N’est-il pas joyeux de lutter et de mourir ?