D'habitude, j'évite de faire des critiques négatives sur des livres sortis en autoédition ou dans de petite maison d'édition. Mon objectif n'est pas de ruiné les ventes de quelqu'un surtout lorsqu'on voit à quel point il est dur de se faire une place dans ce milieu. Je tiens donc à préciser que je ne suis pas ici pour déverser une soi-disant haine gratuitement mais parce qu'il me semble nécessaire de pointer certaines choses qui n'allaient pas dans ce roman ; je vais y aller point par point parce que j'ai vraiment beaucoup de choses à dire. Je pense que c'est important de prendre conscience de nos biais et d'apprendre de nos erreurs pour faire mieux la prochaine fois.
Tout d'abord, comme beaucoup de personnes, j'ai connu ce livre par les réseaux sociaux de l'autrice, elle nous l'a vraiment vendu comme une romantasy féministe qui ne ressemblerait pas à tout ce que l'on a pu déjà lire. Ce qui fait, que j'avais évidemment des attentes sur ce sujet et malheureusement ce livre n'y a pas répondu.
Le premier point que je souhaite aborder, sont les biais racistes de l'autrice. Son personnage principal, Priya, est racisée, elle évolue dans un monde patriarcal où les femmes sont condamnées à mourir lorsqu'elles donnent naissance à un garçon fils d'un mage. L'histoire prend place dans un monde inspiré de la renaissance italienne, mais l'autrice a expliqué avoir créée un monde sans racisme car en tant que personne blanche elle ne le vit pas et par extension ne maîtrise pas suffisamment ce sujet, soit c'est compréhensible. Malheureusement, nous, nous ne vivons pas dans un monde dépourvu de racisme, et l'autrice nous montre bien qu'elle a assimilé de nombreux biais racistes. Il y a de nombreuses choses disséminées un peu partout dans le récit qui auraient pu être évitées en demandant une relecture sensible (sensitive reader). L'autrice s'inspire de cultures existantes pour créer son monde, par exemple, Priya semble être inspirée de la culture indienne pourtant l'on ne retrouve aucun élément dans le récit qui permette d'identifier sa culture (que ce soit celle là ou une autre), l'autrice s'est contentée de construire un personnage blanc en la décrivant comme racisée. de plus, il y a de nombreuses inexactitudes à propos du sultanat (qui apparait dans la dernière partie du livre). Je ne suis pas concerné mais j'ai tout de même relevé des détails qui m'ont semblé incohérents et qui auraient pu être évités tout simplement en faisant des recherches sur google (à défaut d'engager des lecteur.ices sensibles) par exemple (je me base sur ce que j'ai trouvé étrange mais également sur les différents retours de personnes arabes/maghrébines que j'ai vu passer) les personnages du sultanat ont « une peau foncée » alors que les personnes Turcs ont généralement la peau clair (il est évident que des personnes Turcs ayant la peau foncée existent, le problème c'est qu'on sent que l'autrice considère qu'il y a un physique type de personnes arabe/maghrébines et renvoie à l'idée que ces pays sont un bloc interchangeable), il y a des descriptions de couleur de peau assez étrange (olivâtre, péjoratif rien que dans sa construction mais qui en plus ne correspond à rien de concret / « la peau foncée par le soleil et les origines »), il y a également des incohérences culturelles (le noir n'est pas la couleur du deuil, une djellaba n'est généralement pas une tenue pour les cérémonies…). Enfin, même si créer un monde sans racisme est quelque chose de complétement compréhensible, j'ai eu l'impression ici qu'il y avait un sous ton « color blind » ; l'objectif du livre est de dénoncer le patriarcat et l'oppression vécue sauf que les femmes ne sont pas toutes égales face à ces discriminations, et les femmes blanches peuvent également être racistes et oppresser les femmes racisées. Il n'y a aucune intersectionnalité dans ce livre et ça me semble vraiment dommage et réducteur, parce que le féminisme doit inclure de multiples vécus ce qui n'est pas le cas ici, et surtout, il faut que les femmes blanches prennent conscience de leurs responsabilités vis-à-vis du racisme, de ces biais et agissent.
Mon 2e point concerne le féminisme, le roman est assimilé aux tags « sororité » « féminisme » sur les sites d'avis et c'est comme ça que l'autrice en parle. J'ai été d'autant plus perplexe quand j'ai lu ce livre et surtout quand je l'ai refermé parce que je n'ai absolument pas retrouvé le message qu'il était censé faire passer. le worldbuilding m'a semblé incohérent sur certains points, je m'attendais à découvrir un groupe de femmes soudées qui vivent en marge de la société et luttent pour leur libération. Je pensais que les « recluses » vivaient recluses, justement. Mais l'on apprend qu'en réalité elles participent à la vie de la société (elles s'occupent d'une imprimerie), qu'elles sont même soutenues par le gouverneur de leur province ? pourtant l'on passe une grosse partie du livre à nous expliquer qu'elles sont détestées, qu'elles seraient une sorte de symbole d'émancipation en dehors du patriarcat, qu'elles sont utilisées pour faire peur aux enfant et qu'elles seraient vues comme menaçante, je me répète mais l'on insiste vraiment dès le début sur le fait que la société les déteste, pourtant Priya semble choquée quand son père se met à critiquer les recluses, le mec a saccagé l'ordre il y a 25 ans et a détruit toutes vos machines ET vous a menacé, et tu avais besoin qu'il dise à quel point il vous déteste pour t'en rendre compte ? En réalité, Priya semble détester être une femme, elle passe son temps à rabaisser les femmes «je ne suis qu'une simple femme qui ne peut rien faire », elle est méprisante envers les autres femmes, celles qui vivent à la cour, qui sont selon elle « soumises », je veux bien que l'on parle de misogynie intériorisée, c'est même quelque de chose de super intéressant et important mais il faut l'exploiter, la mettre en lumière pour mieux la dénoncer par la suite. Ici, ce n'est pas le cas. En réalité les femmes sont constamment représentées comme des choses fragiles nécessitant un homme pour les protéger (les recluses sont protégées par les hommes, je croyais qu'ils les détestaient ?) leur impuissance ne vient pas de leur identité de femme mais bien de l'oppression patriarcale, c'est leur condition de femmes sous cette domination qui pose problème. Je trouve également très dommage qu'on ait aussi peu de relations entre femmes importantes et visibles. Dans les faits, les personnages masculins importants sont légion tandis que du côté des femmes on n'en compte même pas trois, je trouve que c'est vraiment dommage d'accorder autant d'importance aux relations qu'entretient Priya avec les hommes sans montrer des moments de sororité. D'ailleurs, l'autrice utilise ce mot à plusieurs reprises mais sans nous le montrer, l'on ne ressent absolument pas l'attachement de Priya pour ses « soeurs » tout simplement parce qu'elles sont à peine développées, l'on a leur prénom au début du roman mais ça s'arrête là, rien nous les rend attachantes, rien ne vient leur donner de la profondeur. Tout au long du récit Priya répète qu'elle se sacrifie pour ses « soeurs » sans qu'elles soient mieux développés, elles n'ont pas de réelles caractéristiques, pas de personnalité, ce sont simplement des noms jetés sur la page. Il y a une autre femme relativement importante dans l'histoire mais non seulement leur amitié semble sortie de nulle part mais en plus, elle ressemble plus à un faire-valoir pour Priya qu'à une véritable amie. le dernier personnage féminin mentionné, venu du sultanat d'os, sert simplement à accélérer l'intrigue, aucun lien n'a eu le temps de se former entre elles. Il m'est également difficile d'envisager que Priya ait pu accéder à la cour, je veux bien qu'il y ait peu de femmes puisqu'elles meurent toutes en donnant naissance, et surement encore moins qui viennent d'une lignée de mages puissants mais Priya n'est pas la seule poule pondeuse prometteuse de ce monde ? je ne comprends pas comment une femme qui est censée représenter ce que les hommes, et surtout les mages, répugnent a pu rentrer dans la cour. Ce n'est pas son choix, on lui impose, certes, mais à mes yeux, Priya n'avait pas suffisamment d'importance pour qu'on envoie des soldats la chercher dans son ordre et qu'elle soit utilisée de la sorte. Enfin, il y a tout un discours (blagues ?) sur l'hymen qui est censé être égal à virginité. En 2023 il serait temps d'arrêter de partager ce genre de désinformation, il y avait plein de façon de parler de la virginité de Priya.
3e point : cis/hétéronormativité de l'univers, le worldbuilding repose sur la séparation homme/femme et rien n'est fait pour la nuancer. La magie différencie les deux sexes, les femmes ne peuvent pas avoir de magie tandis que les hommes l'ont ce qui semble justifier leur domination, cette distinction porte un sous-ton transphobe et essentialiste. J'ai également été gêné par l'utilisation incessante du terme « contre-nature, abomination, monstre… » l'idée que les personnes qui commettent des crimes (en l'occurrence misogyne) seraient des monstres, les déshumanise et fait d'eux des personnes rares que l'on ne retrouve pas et qui seraient facilement identifiable. C'est faux, puisque c'est un système dans lequel on vit et que l'on assimile tous.tes. C'est leur retirer le poids de leurs responsabilités. C'est également sous-entendre que les hommes sont mauvais par nature, que c'est inévitable alors que le problème n'est pas la masculinité mais le système patriarcal qui fait de cette masculinité un danger pour les femmes et qui met les hommes en position de force. Je ne vais pas disserter sur le fait que c'est également un terme insultant envers la communauté LGBTIA+ puisque c'est évident. En parlant de personnes LGBITA+, je trouve dommage (et c'est un message général que l'on retrouve dans une grosse partie de roman de ce genre, pas une critique propre à ce livre) de présenter un monde dont le fondement repose sur le patriarcat et la dichotomie homme/femme, pour ne pas une seule fois parler de lesbianisme. Dans un monde patriarcal, l'exclusion des hommes des relations (en l'occurrence amoureuses) c'est un acte politique mais également logique. Parce que la relation entre Priya et Ezio me parait hautement improbable compte tenue de tout ce qu'il s'est passé entre eux. Je devance les personnes qui vont me parler de contexte historique, premièrement, l'autrice n'écrit pas une fiction historique, le réalisme n'est pas son objectif premier, l'autrice maîtrise son monde, elle CHOISIT : elle a décidé de ne pas mettre de racisme (et tant mieux), et surtout, les personnes LGBTIA+ ont toujours existé même si elles ont du vivre cachées.
Ce 4e point concerne les personnages masculins, je l'ai dit et répété, l'on est dans un monde dominé par les hommes, vous pouvez me remercier pour ce rappel. bien qu'au départ l'on ait l'idée de société patriarcale, au fil du récit cette idée semble s'étioler. Pendant tout le livre on cherche à rendre le love interest attachant, parce qu'il est moins pire que les autres (entendre, qu'il n'a pas envie que sa femme meure, quel prince charmant !).
Mais en même temps, ce mec est présenté comme un dictateur : il fait un coup d'état, massacre des gens innocents, utilise sa maîtresse pour arriver à ses fins et il n'exprime aucun regret. On veut nous le montrer comme une personne sensible qui recherche l'égalité entre les hommes et les femmes mais c'est tout le contraire. Il est assoiffé par le pouvoir, à la fin, il dit à Priya qu'il fera couler autant de sang qu'il le faut pour elle…on est dans une chronique wattpad avec le beau brun ténébreux, vilain garçon, bad boy, qui frappe dans les murs lorsqu'il est en colère ? il y a un sous-texte not all men (pas si caché) quasiment omniprésent tout au long du livre et qui est accentué par le dénouement….
Justement, on y vient à ce dénouement puisque c'est mon 5e point.
J'ai trouvé le dénouement lunaire et absolument pas satisfaisant pour un livre se revendiquant féministe. La fin, c'est-à-dire les 10% restant, met enfin en scène un début de romance. Soudainement, Ezio semble se préoccuper de Priya alors qu'elle est censée représenter tout ce qu'il déteste (et inversement). Leur passion amoureuse prend le pas sur l'intrigue, l'on enchaîne les péripéties pour qu'elles soient coupées par les deux poules qui se font la Cour. Au moment critique du récit, alors qu'ils sont à l'aube d'une guerre, ils couchent ensemble à la place de préparer un plan. Ils sont bien plus préoccupés par leur partie de jambe en l'air que par le destin de leur nation apparemment. Priya le dit elle-même « j'oublie tout [énumérations de tous les évènements précédents] » c'est justement bien ça le problème. Quand enfin ils se décident à faire un plan, il est d'une simplicité enfantine, l'on se demande comment ils ont pu mettre autant de temps à le trouver (c'est peut-être pour ça qu'on a du supporter une scène de sexe) (leur scène de sexe est à la hauteur de leur relation ceci dit, le mec continue de dominer la meuf, et les rapports de force dans ce système patriarcal sont tjrs bien présents). le message sur l'avortement me paraît au mieux bancal, au pire violent. L'avortement est un droit fondamental et est très important, c'est une évidence, mais le fait que pour s'émanciper et surtout, ne pas mourir, les femmes soient obligées d'avorter me semble lunaire. L'avortement est un choix, ici il semble imposé. Et surtout, subitement, le patriarcat n'est plus un problème, non puisque les femmes peuvent (doivent) avorter et que ce sont « les mensonges » le véritable problème. Finalement Priya devient puissante grâce à sa super découverte, et elle massacre la quasi-totalité de la capitale. Je croyais qu'elle voulait sauver les femmes ? mais surtout, lorsqu'elle éprouve de la culpabilité son mec lui répond « osef je suis pire », pardon ? c'est donc ça la solution ? que les femmes deviennent aussi puissantes que les hommes pour oppresser les autres femmes également. Les rapports de force continuent, sont limites encouragés et au final, on n'assiste pas à la libération, l'émancipation des femmes du système patriarcal mais à la libération de Priya qui obtient le même pouvoir que les hommes et qui ne semble pas décidée à démanteler ce système. Elle dit bien que tout le monde est terrifié par elle, son mec dit qu'il gouverne par la terreur (Robespierre vibes, dommage que l'invention de la guillotine sois aussi tardive…). Finalement il lui impose un hériter mâle (elle aura rempli son rôle) et elle accepte en même temps qu'elle lui dit ne pas en vouloir ? simplement parce que son mec lui dit « il faut perpétuer notre héritage ».
Je termine sur quelque chose de positif, mon 6e et dernier point : le style d'écriture est agréable, je l'apprécié c'est indéniable. J'ai lu rapidement ce livre parce que l'écriture est bonne