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Critique de CamilleSirieix


J'ai pris un peu le temps de digérer ma lecture, et me voici de retour pour étayer ma critique, qui risque d'être salée.

Je n'aime pas descendre un livre, surtout en AE, je sais ce que c'est, mais je me suis faite avoir par le battage autour de l'ouvrage et ma frustration n'a d'égale que les louanges qui lui sont faite. J'aurais aimé l'aimer, l'adorer même. Une fantaisie féministe, qui ne sexualise pas ses héroïnes, que demander de plus ? Sauf que je me suis sentie flouée, et je vais vous dire pourquoi.


D'abord, le premier point : j'ai plutôt aimé la plume, le fait que les descriptions soient posées, et que le dictionnaire des synonymes ait chauffé. Mais un peu trop peut-être. Jamais l'on ne va évoquer la voix du personnage principal masculin, ce sera toujours son « ténor ». Pour une couleur blanche, on ne dira pas blanc, mais lilial. C'est agréablement poétique de prime abord, mais arrivé à la moitié du roman, ça devient rapidement agaçant. Je pense que l'autrice a voulu « élever le niveau » de langage de son manuscrit pour bien faire, mais chez moi, ça n'a pas pris (lisez La cité diaphane d'Anouck Faure, pour une plume riche et pas trop lourde).

Le fait que Priya, ait déjà eu une vie sexuelle, l'aborde librement et parle d'avortement tout aussi librement a été un bon point. Ça manque en fantasy. L'univers est riche, inventif, et les descriptions de la magie sont bien réussies. J'aurais aimé m'attarder plus dans le monastère des recluses.



Maintenant, je vais passer à ce qui m'a fait grincer des dents, sans glisser dans une bêta-lecteur méthodique du roman. Détaillons point par point :

La romance
On m'a vendu cette histoire comme une romantasy. J'ai la fantasy, très bien pensée d'ailleurs, un beau lore, plutôt détaillé. Mais la romance ? D'accord, je n'en lis pas en temps normal et le fait qu'elle arrive très tard est un bon point pour moi. Mais la romance ? Quelle romance ? Les deux personnages principaux n'ont aucune alchimie, leur histoire d'amour sort du chapeau sans aucune préfiguration.
J'aime voir des ennemis se déchirer pour ensuite tomber dans les bras l'un de l'autre ! Mais là, j'ai juste vu deux « camarades » qui discutent de choses et d'autres puis, après un retournement de situation, finissent par coucher ensemble. Passé cette scène de fesses BDSM (on en reparlera), ils sont fou amoureux l'un de l'autre, quitte à sacrifier la moitié d'une ville sur l'autel de leur amour qui… n'existe pas ? Il n'y a pas de tendresse ni de passion. Il n'y avait rien, c'est vide, pourquoi d'un coup d'un seul ? … Incompréhension.

Le « féminisme »
J'ai acheté le livre notamment parce qu'il est marketé comme féministe et sorore. Les quelques bookstagrameuses que je suis et qui l'ont lu ont été dithyrambiques. J'en attendais beaucoup, et c'est sûrement pour ça que j'ai été (très) déçue.

Parce que le livre dit que Priya est féministe, que les Recluses sont des résistantes de la première heure etc… Et c'est bien là le problème, c'est DIT . Ce n'est à aucun moment montré, ce n'est pas ce qui est décrit, ce n'est pas ce qui est constaté, ce n'est pas ce que les personnages font. Je n'ai pas vu de sororité, malgré ce que la narratrice et héroïne Priya nous rabâche tout au long du roman.

L'existence des Recluses est décrite comme des femmes en retrait de la société, détestées par tout le monde et prises comme épouvantails pour effrayer les enfants, qui s'entraident entre elles et fuient les hommes.
En réalité, nous avons des femmes imprimeuses dans un couvent, qui ne vivent pas du tout au ban de la société, qui commercent avec elle et sont même plutôt bien intégrées dans la ville que leur monastère surplombe. Priya les appelle des femmes libres, mais à aucun moment on ne les voit plus opprimées que le reste de la population (hormis par sa faute à elle d'ailleurs). de plus, elles n'apparaissent que pendant un demi chapitre au début du roman et tout autant à la fin. C'est dire si elles comptent pour Priya qui a pourtant grandi avec elles. Alors pour le lecteur ? Aucun attachement ne s'est fait, si bien que toutes les menaces sur leurs vies ne m'ont jamais fait l'effet voulu.


La représentation des femmes
Il n'y a que trois femmes qui ont un rôle dans cette histoire, dont deux qui meurent très rapidement, versus six hommes… Hormis Priya, l'existence des femmes et leurs préoccupations ne tournent qu'autour des hommes qui les entourent. La maîtresse, appelons la C., à l'air de prime abord profonde et intéressante par son opposition à Priya, avant d'être sabordée en trois scènes. Il leur faut littéralement UN dialogue pour être copines et se balancer des secrets qui pourraient les faire tuer. Pas de préfiguration, pas de complicité naissante, juste paf, une amitié, comme deux petites filles dans la cour de récréation.
Autant pour les échanges entre Priya et la sultane, je veux bien, c'est facilité par C., mais ceux entre C. et Priya ? Ce n'est pas naturel, et l'empressement de Priya à vouloir sauver son amie « de toujours » et à sortir les grandes larmes à sa mort, m'a juste fait lever les yeux au ciel parce que non, c'est une amitié artificielle, il n'y a pas à se mettre dans des états pareils.

Passons à la sororité
C'est l'une de mes plus grosses déceptions. J'ai refermé ce livre en la cherchant encore. Priya méprise la plupart des femmes qu'elle croise, si ce n'est la totalité. Elle méprise ses servantes, pourtant moins bien loties qu'elle, elle méprise C. avant de décider qu'elles seraient super copines et ne peut avancer dans l'intrigue que grâce aux caprices qu'elle fait à son mari, quand ce n'est pas tout simplement Ezio ou son frère qui agissent.
Pourtant, il n'y a pas une page sans que la voix intérieure de Priya ne s'élève pour dire à quel point c'est dur pour les femmes, comme elle est forte de se sacrifier pour ses compagnes recluses. Recluses à qui elle n'écrit jamais ?? A qui elle ne pense que lorsqu'Ezio ou son père les évoquent ?? En bref, Priya ne montre et ne pense jamais réellement son féminisme, ou uniquement par opportunisme.

C'est une façade, une méthode Coué, il n'y a pas d'actes concrets qui ne soient pas sabotés tout de suite derrière par elle-même.

Les personnages principaux
Le personnage d'Ezio et son couple avec Priya
On veut le faire passer pour gris, mais ça ne fonctionne pas. Il est sanguinaire, tyrannique et parricide . Si on veut le réhabiliter, ce n'est pas une épouse qu'il lui faut, c'est un psychiatre. le fait que Priya finisse par l'absoudre d'un claquement de doigt est un non-sens pour moi, pour tout ce qui a été décrit plus tôt dans le texte.
Une fois passée sa réhabilitation, il reste violent et dominant vis-à-vis de Priya (qui ne veut pas de la domination patriarcale mais accepte tout avec un sourire niais si c'est Ezio qui le demande, pardon, l'exige ?). La scène de sexe entre eux arrivent comme un cheveu sur la soupe, et Ezio est encore violent et dominant. D'ailleurs, existe-t-il réellement des femmes qui font du sexe tout de suite après un avortement, alors qu'elles en subissent encore les contractions ?

Que dire de leur couple en fin de livre ? Ce sont deux tyrans aux pouvoirs extraordinaires qui vont terroriser toute une population qui… ne leur a rien fait ? Et dans cette population, il doit bien y avoir 50% de femmes, alors où est passé le féminisme et la sororité de Priya ? Ce n'est valable que pour elle ? le fait que l'éponge soit si vite passée sur les crimes d'Ezio, puis le génocide perpétré par Priya n'en font pas des personnages morally grey, mais 100% dark. Ils deviennent les antagonistes de leur propre histoire.

Mais parlons de Priya, l'héroïne et narratrice.
Ce personnage m'a été rendu insupportable par de nombreuses choses :
- Son absence de sororité (voire un égoïsme bien planqué sous le tapis), et son forçage concernant celui-ci,
- Ses multiples commentaires sur son sens du sacrifice, sur ces femmes « sacrifiées », « opprimées », condamnées. C'est au mieux maladroit, au pire extrêmement lourd, surtout quand on voit que dans les faits, elle n'est ni opprimée, ni sacrifiée, contrairement aux femmes qu'elle méprise ouvertement.
- Ses réactions incohérentes. Elle trahit son mari pour s'offusquer ensuite quand il l'accuse de l'avoir trahi. Elle le voit faire un coup d'état, assassiner sans vergogne autour d'eux ( y compris comploter contre et faire assassiner son propre père ) sans sourciller ni s'indigner plus de deux lignes. Par contre, quand ça touche sa nouvellement super copine C, ça y est, il a franchi la ligne ? Priya pleure des heures durant pour une femme qu'elle connait à peine ? Mais où est ton humanité, Priya ?
- Ses dialogues. La plupart de ses échanges sont des punch-lines, plutôt sympathiques au début, mais qui s'enchainent sans fin et ça en devient artificiel. Et bien entendu, les hommes à qui elle parle s'écrasent, ce qui n'est pas très vraisemblable avec l'épouvantail du patriarcat brandi depuis les premières pages du roman.

Quant à la fin, je me suis étranglée devant ma liseuse. Alors qu'elle et les recluses sont condamnées à mort, on se fiche des gens qui n'ont rien demandé et on assassine la moitié de la ville. Je la cite « coupables ou innocents, ils paieraient tous ». Mais pourquoi ? Au mieux, les habitants de la capitale sont victimes des castes dont tu fais partie, au pire ils t'ont huée parce que ces mêmes castes les ont montés contre tes copines Recluses ? Ce n'est pas être moraly grey là, même la boussole de la morale vient de jeter son aiguille par la fenêtre !


La chose qui a sauvé ce roman pour moi, ça a été le mystère autour des chants, et des grossesses magelines. Ce qui est dommage, c'est que ça soit passé à l'arrière-plan, et que tout arrive dans les derniers 20% du roman.

En bref, des personnages que j'ai trouvé insupportables, et des actions incohérentes, des motivations incohérentes et des messages féministes loupés.

Vraiment, ma plus grosse déception est là, d'avoir dans les mains un livre qui se réclame du féminisme, qu'on me survends comme féministe, de la fantaisie avec de la sororité, et me retrouver avec Priya, et les deux autres femmes, mortes en trois chapitres. Je me suis sentie flouée par le marketing, et par le texte ensuite, car ce n'est pas parce qu'on essaye de mettre une idée dans la tête du lecteur, qu'il va l'accepter. Plus l'autrice essayait de me dire à quel point Priya est sorore, est féministe et sacrificielle, moins j'y ai cru.
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