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Critique de karineln


Admirable, le coeur à l'aiguille est un premier roman admirable.
Fragile, gracieux, gracile. Comme cette robe de papier cousue mains avec les mots d'amour griffonnés par l'amoureux, parti loin, exilé du cocon, pour des missions terrestres dont on devine la rudesse et le réalisme cruel.
En brodant, Leïla raconte son attente, se souvient leur rencontre, se prépare aux fiançailles, et tisse mot après mot la robe de son bonheur, de sa douleur.
Avec à la fois peu de choses, peu de description sur les personnages, leurs psychologies, leurs récits de vie, l'auteure réussit à nous transmettre beaucoup de leurs sensibilités et univers, sans doute grâce à une écriture d'orfèvre, aux mots ciselés.
L'histoire est contemporaine mais il s'en dégage un parfum d'intemporalité. Leïla fille de la ville, très urbaine et féminine, ancrée dans son temps et porteuse d'une autre culture, d'un ailleurs lointain transmis par sa famille présente et chaleureuse. Dan garçon de la campagne, provincial taiseux, fils choyé sans emphase. Et pourtant cet habit cousu, filé, greffé au corps car les mots portent un sens et s'incarnent à même la chair ; oui cet habit pourrait avoir été écrit à d'autres époques, même lointaines, tant la préciosité rappelle le chant d'un amour courtois perdu, tant la poésie convoque les envolées des grands romantiques, et n'est pas loin l'image d'une Pénélope tisserande dans le tourment intérieur d'une attente infaillible.
« Elle avait fait le choix du cloître, un serment intérieur la retenait recluse parmi ses aiguilles, et ses coupons de papier, mais, un jour ou l'autre, il lui faudrait bien reprendre le cours de sa vie. Sans rien trahir, sans se renier, sans oublier l'intensité des moments vécus, il faudrait bien qu'elle trouve la force de passer sur l'autre rive, celle des vivants. »
La nuit, le silence, la torpeur d'un été, la patience et l'ardeur de l'ouvrage sont admirablement retranscrits. C'est aussi un roman d'ambiance, une lenteur passionnée dont on devine de suite le drame qui se joue, dont on sait irrémédiablement l'issue. Et pourtant on accompagne Leïla dans son recueillement presque religieux, voué à son amour ; on chemine, on retient son souffle, on tremble.
« Elle pressentait de quelle ascèse et quelle intériorité était tissé ce projet. Elle savait déjà confusément quel grand silence il faudrait nourrir en elle, jour après jour, pour mener à bien son dessein secret. Palier par palier, atteindre les abysses. Strate après strate, expulser l'inutile. »
Ce roman est beau. Malgré un coeur fendu, le palpitant persiste dans le rythme de l'aiguille ouvrière et en fixant les coutures, en soignant les finitions, ouvre sur un espoir.
« Un ruban de mots perpétuel, une bobine de souvenirs qui se déroulerait, éternelle, autour de son corps orphelin. Sa double-peau ou linceul, robe de noces ou de tombeau…il lui faudrait choisir, plus tard, quelle couleur donner au passé. »
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