Citations sur Les oiselles sauvages (12)
Mettre au monde un nouvel être me semblait absurde alors que certains déjà nés et abandonnés désespéraient de solitude. Un jour, en m'entendant, ma mère s'était amusée de ma déclaration : C'est pourtant magnifique, ma chérie, de porter un bébé ! J'avais dû lui demander pourquoi et son « Il faut le vivre pour le comprendre… » n'avait pas suffi à étancher ma soif d'arguments.
Jeanne pense que les liens entre lesbianisme et féminisme ne sont pas suffisamment discutés dans nos groupes de parole alors qu'ils sont, à ses yeux, essentiels à l'émancipation des femmes. Les lesbiennes sont « l'avant-garde révolutionnaire du mouvement » ; le lesbianisme, un engagement politique qui dépasse l'intime, permet de se soustraire de façon radicale à l'ordre érotique « patriarcal-capitaliste » et à « l'injonction procréatrice ».
Marissa pose peu de questions et parle beaucoup, des connards qui ne comprennent pas la non-mixité du cortège de tête et s'insurgent contre les festivals réservés aux femmes racisées sans rien remarquer d'étrange sur les photos des comités exécutifs du CAC 40, des connasses qui donnent des leçons d'écologie parce qu'elles achètent leurs pâtes en vrac, portent des Veja et votent Europe écologie mais postent tous les dimanches des photos d'avocado toasts et tous les deux mois celles d'un week-end EVJF dans une nouvelle capitale d'Europe, des traders qui quittent la France pour payer moins d'impôts puis reviennent quand leurs gamins ont l'âge d'aller à l'école en claironnant qu'ils se sentent citoyens du monde, des gens de gauche qui dorment mal en pensant à leur optimisation fiscale, des gens de droite qui concluent par « quand on veut, on peut », et de sa mère qui lui fait la morale parce qu'elle ne vote plus mais qui n'a jamais lu un seul programme politique et ne vote socialiste que par inertie, parce qu'elle avait vingt ans en 1981.
Parfois, elle rapporte des disques à la maison, des Stooges ou des New York Dolls. Quand elle est de bonne humeur, elle allume le tourne-disque, monte le volume au maximum, à en faire trembler les quatre murs de papier qui nous entourent, et se laisse griser par la saturation des guitares. Je me dis alors que sa colère est infiniment supérieure à la mienne. Elle répond : « C'est certain, on ne fera pas la révolution en écoutant les Bee Gees, Mado ! »
À cet instant, alors que j'atteins les hautes grilles en fer forgé du parc Monceau, j'hésite à crier « je suis lesbienne », pour voir la tête des retraités du VIIIe. Je me ravise : ça m'ennuierait pas mal qu'ils décident, eux, de faire de moi une lesbienne. Une lesbienne pour de vrai.
– Du coup, elle propose quoi, Françoise ? Ne pas avoir d'enfants ?
– Non. Elle dit pourquoi pas, à condition d'examiner les racines de ce désir. Elle reconnaît qu'il y a peut-être un besoin en chacun de nous, femme ou homme, de léguer quelque chose à un jeune être. De l'aider à grandir, à devenir libre, autonome, si possible utile aux autres.
Je ne le vis pas comme une tragédie. Mais c'est un saut dans l'inconnu : il faut apprendre à devenir lesbienne, avancer sans exemple, laisser éclore dans son esprit des images nées d'un désir intime, logé dans chaque parcelle du corps mais qui, au contact des désirs sociaux dictés par une partie hypertrophiée du cerveau, provoque de brûlantes étincelles.
Il ajoute que chez les Amérindiens, le hibou symbolise la mort, la sagesse e la connaissance.
Je sais que je ne peux pas comprendre ce qui lui arrive. Je ne sais pas trop qui peut comprendre Ceux qui croient comprendre sont les plus insupportables, qui associent le désespoir à une paresse maladive, confondent déprime et dépression, recommandent sans honte de l'exercice physique et de la méditation. J'aimerais leur demander s'ils pensent qu'un cancer de l'intestin se guérit par un changement de régime alimentaire.
Sur la une, nous avons écrit "parution menstruelle" pour nous autoriser une cyclicité irrégulière.