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Critique de fanfanouche24


Je débute cette chronique par le texte qui est en exergue, exprimant au plus près l'existence de ce livre particulier , tour à tour « fresque familiale » et Histoire d'un pays sous contrôle colonial, le Mozambique:

« A ma mère, qui nous a donné l'Afrique
(...) c'est pour cela que ce livre commence par un voyage. Comment nous sommes partis au Mozambique, et surtout, comment cette femme, cette dame, cette mère de quatre enfants a relevé ce nouveau défi: allant à l'encontre de toutes les traditions, c'est elle, et non pas notre père, qui nous a ouvert le chemin de l'outremer. « (p. 6)

Un ouvrage autobiographique, dont la première traduction française fut publiée par ce même éditeur, en 2014… Maison d'édition, dont je fais la connaissance pour la première fois avec ce texte…

Je remercie abondamment Babelio ainsi que les éditions du Poisson Volant pour la découverte de cette autobiographie très riche de cette auteure portugaise.. ; autobiographie au sens large, car ce récit que j'aurais imaginé plus intimiste est une entreprise d'écriture, à l'origine, faite pour ranimer le goût de vivre et l'esprit réactif de sa maman, s'enlisant dans les affres de la maladie d'Alzheimer.

Prenant conscience qu'évoquer ces années en Afrique et au Mozambique (ancienne colonie portugaise ] éclairait le visage maternel , avait le pouvoir de la faire réagir, Manuela Gonzaga décide de se lancer dans ce projet narratif, englobant les années les plus mouvementées et sûrement les plus riches humainement et intellectuellement pour cette mère brillante et déterminée, qui prit son destin en main ainsi que celui de ses enfants . On sent, au fil du récit, combien elle était appréciée, aimée comme enseignante…Un hommage très fort d'une fille à sa mère,à la fois rempli d'admiration et d'affection pour cette mère hors du commun…

Et une vie de colons… avec tout ce que cela sous-entend :

« Mais encore une fois, que savions-nous, nous, nous, les Portugais de la métropole, de cette Afrique qui était alors portugaise ? Rien. Ou si peu. Juste une suite de stéréotypes illustrés par de belles images mal agencées les unes avec les autres, et d'où s'élevait le parfum de l'immensité et de la liberté des grands espaces sauvages." (p.20)

La maman, partit dans les années 1960-1961, en Afrique , seule, avec ses jeunes enfants, avec l'envie de changer de vie..en pensant sans doute que cela pourrait réparer une vie de couple décevante.. Son mari la rejoindra un an plus tard. Des détails nous montrent combien cela ne devait pas être « chose facile » d'être une femme seule, avec ses enfants , dans ce continent inconnu qu'était l'Afrique :

« Pendant ce temps, aussi talentueuse qu'elle ait été (...), la nouvelle professeure de musique n'était toujours qu'une inconnue arrivée de la métropole. Et sa situation personnelle n'arrangeait rien. Bien qu'elle ait été mariée et entretienne une correspondance assidue avec notre père (ce dont les employés de la Poste pouvaient attester en toute bonne foi), c'était une femme "seule". Une femme qui était partie à l'aventure en Afrique...sans son mari ! Et comme elle était jolie, intelligente et, grâce à sa profession, indépendante du point de vue financier, elle a eu vite fait de réveiller les bonnes et les mauvaises langues. En somme, c'était quelqu'un dont on parlait beaucoup, pour le meilleur comme pour le pire. (p. 77)

Enseignants, tous les deux…Le père, professeur de mathématique et de chimie, elle, professeur de musique, ils ne parviendront pas, en dépit de multiples essais, à vivre ensemble. Après plusieurs réconciliations, tentatives, ils divorceront. Petite guerre conjugale paraissant secondaire, au vu des conflits graves éclatant aux 4 coins du Mozambique…pendant des années, pour leur indépendance…

Le texte possède plusieurs niveaux de narration : celle , intime, relatant, décrivant l'histoire de cette famille, avec comme noyau central cette forte personnalité maternelle, la vie insouciante de l'auteure, toute jeune adolescente et sa fratrie… découvrant un pays magnifique, profitant des plages, des fêtes très fréquentes… dans les familles de colons…Ces adolescents de milieux privilégiés savourent les joies et distractions de leur âge… toutefois, des déménagements, des changements de ville…. Et puis les soldats de la Métropole, du Portugal… et les rebellions des « colonisés »…La guerre s'approche… Là, la voix très bien rendue de l'adolescente insouciante laisse la place à l'adulte qui s'est documentée ultérieurement, en profondeur, sur l'histoire de cette colonie portugaise , la guerre des « colonisés » pour obtenir leur indépendance. …

Territoire constitué d'une population multiraciale induisant tous les dysfonctionnements qui en découlent : racisme, différences et inégalités subies par les « colonisés » selon leur appartenance à telle ou telle communauté…

« Mais surtout, c'était au coeur de la population noire, qui se sentait la plus discriminée, que les mouvements de libération trouvaient le plus d'écho.

Pourquoi ? le paysage était profondément irrégulier. Il y avait les "Blancs au premier degré", les naturels de la métropole, les "Européens", comme le disait leurs papiers d'identité; les "Blancs au deuxième degré", dont les papiers disaient "naturel du Mozambique", ou autre place coloniale. Et puis les "assimilés": les communautés d'Indiens, très petites, et de Chinois, encore plus résiduelles. Et enfin les Noirs, la majorité écrasante de la population, 98 % qui n'étaient pas citoyens portugais, et qui n'avaient droit qu'à la -Caderneta Indigena- . Il existait des lois différentes pour tous ces groupes. Et des manières différentes d'appliquer la justice et de comprendre les lois du travail. (p. 111)”

Ce livre, en dépit de l'histoire très violente de ces colonies portugaises, reste lumineux par les nombreux personnages traversant ce récit primitivement à caractère familial…On admire cette mère de famille travaillant, assurant son indépendance, l'éducation de ses enfants, s'adaptant à un pays si différent de sa terre natale, le Portugal !!…

De cette autobiographie , surnage les lumières, les couleurs de ce beau pays du Mozambique… L'auteure, adolescente mettra du temps pour prendre vraiment conscience de toutes les iniquités et discriminations raciales… L'insouciance et l'inconscience de la jeunesse, sûrement !…

Manuela Gonzaga vivra à Porto jusqu'à ses 12 ans, puis partira avec sa mère et sa fratrie au Mozambique, puis en Angola [autre colonie du Portugal, à l'époque]. Elle reviendra au pays en 1974…exprimant dans divers entretiens son sentiment intérieurs d'être une étrangère dans son propre pays…ayant vécu son adolescence et sa jeunesse dans les colonies d' Afrique, qui représenta un long apprentissage très singulier…

Cette vie en Afrique la marquera pour toujours ; cette existence en Outremer que leur mère leur aura offert, ainsi qu'un fort sentiment de liberté et de volonté d'indépendance… Car notre narratrice [« auteure ») exprime haut et fort, en devenant une jeune femme, qu'elle ne souhaite surtout pas se marier, être « casée »… tenir une maison, faire la cuisine… ces occupations féminines séculaires, tenant pour elle , du cauchemar…

Nous accompagnons l'histoire de cette famille, ainsi que celle du Mozambique, dans des périodes des plus violentes, sans omettre l'évolution et le chemin de cette adolescente…devenant une jeune femme , indépendante, travaillant…devenant « mère « à son tour….débutant cette nouvelle vie d'adulte, avec le père de son enfant, en partant s'installer en Angola !....
Lecture foisonnante, et des plus instructives, sur les mentalités de l'époque, et sur cet empire colonial portugais, complexe… avec les injustices éhontées liées à tout territoire annexé, colonisé, comme l'extrait suivant le décrit clairement…sans parler des femmes indigènes enceintes de soldats portugais rentant , eux, au Portugal, sans elles, après « la guerre »…! Comme vous l'aurez compris… il y a les envers "sombres" de la médaille, de la jolie carte postale de ce Mozambique aux plages de rêves et aux fêtes innombrables données par les colons !!!

« de cette manière, les barrières entre "nous" et "eux" étaient claires et palpables, et nous n'y pensions même pas parce que c'était presque naturel. Les Noirs, près de huit millions de personnes, soit la majorité écrasante de la population, quoique recensés et soumis aux impôts, n'étaient pas enregistrés comme Portugais, contrairement aux petites centaines de milliers de Blancs que nous étions, ou des quelques milliers de mulâtres, d'Indiens, et de Chinois, en nombre résiduel, et de l'infime pourcentage d'assimilés.

En fait, ils vivaient dans un monde à part, même si nos deux mondes entraient constamment en collision, tout le temps, même à la messe, quand j'allais encore à l'église. A la maison , par exemple, les domestiques se tenaient toujours à distance, et pas simplement parce que leurs chambres étaient en dehors de la maison. Comme je suis arrivée adolescente en Afrique, j'ai grandi sans me faire d'amis africains noirs, qui n'allaient jamais beaucoup plus loin que l'école obligatoire (...)
En fait, presque jusqu'à la fin des années 1960, l'enseignement secondaire était simplement interdit à tous les Noirs qui n'étaient pas descendants d'assimilés. « (p. 173)

Un livre précieux et très vivant pour comprendre l'Histoire du Portugal...


[***Un glossaire, in-fine, des termes non traduits aurait été bien apprécié !…]

*******Pour en savoir plus sur cette maison d'édition, spécialisée dans la traduction d'oeuvres portugaises et brésiliennes
https://www.lepoissonvolant.net/qui-sommes-nous--


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